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habituelle à l’aigle de Meaux. Le besoin mal dissimulé de faire la leçon à Louis XIV fait oublier à l’illustre orateur que le temps a manqué au fils de Philippe pour achever son œuvre. Ce n’est pas « parce qu’il avait été trop puissant qu’Alexandre fut la cause de la perte de tous les siens ; » c’est parce qu’il est mort à trente-deux ans. « Le fruit de tant de conquêtes » n’a pas été seulement l’anarchie ; l’unité du monde ancien et la diffusion de la civilisation grecque n’ont pas laissé d’avoir leur influence sur les rapides et nécessaires progrès du christianisme. Ne blâmons donc pas trop légèrement les héros d’avoir, en messagers fidèles, obéi jusqu’au bout à leur mission. « La part de la providence est bien plus grande encore dans le destin des empires que dans le destin des individus. » Le commentateur éminent d’Aristote n’a jamais mieux dit.

Alexandre repoussa de nouveau les offres de Darius. Ce monarque qui, à la tête d’une armée de plus d’un million d’hommes, demandait encore à traiter, laissait voir sa faiblesse ou donnait à soupçonner sa perfidie ; il n’eût pas fallu être Alexandre pour s’y tromper. Différer, — dilatar, disent les Espagnols, — a été plus d’une fois la politique de la Porte ottomane ; ce fut, de tout temps, celle des Asiatiques. Le jeune conquérant avait eu trop de peine jusqu’alors à nourrir ses troupes pour les compromettre dans les vains délais de fausses négociations. La situation commandait aussi bien, en l’année 331 avant Jésus-Christ, une solution prompte sur les rives du Tigre, qu’à la veille du terrible hiver de 1812, sous les murs de Moscou. Alexandre le comprit et, mieux inspiré que ses lieutenans, il déjoua sur l’heure, par sa réponse hautaine, l’astucieux calcul auquel une ambition vulgaire eût pu se laisser prendre. Darius n’avait plus qu’à se préparer à livrer bataille.


III

Le 1er octobre de l’année 331 avant notre ère, Alexandre vint occuper, à 11 kilomètres environ des lignes de Darius, une de ces éminences coniques dont est parsemée la plaine d’Arbèles, collines uniformes « qu’on croirait faites de main d’homme et qui ne sont probablement que d’énormes amas de débris accumulés. » De ce poste élevé on eût dû apercevoir toute l’armée ennemie, mais un épais brouillard flottait encore dans l’air et ne laissait entrevoir que par intervalles des groupes confus dont il était impossible de discerner exactement l’ordonnance. La brume peu à peu se dissipe sous les rayons d’un soleil d’automne, et l’armée de Darius apparaît enfin déployée en ordre de bataille, couvrant de ses rangs pressés un immense espace, De l’infanterie et de la cavalerie confondues,