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changer. Les deux principales sont celles de l’Isère et de la Durance, affluens du Rhône, qui reçoivent dans leur parcours le tribut d’une foule de vallées secondaires, ramifiées elles-mêmes à l’infini. La plupart des rivières coulent sur un lit large et plat de cailloux roulés, dont elles n’occupent qu’une petite partie et dans lequel elles divaguent en se portant tantôt sur un point, tantôt sur un autre, suivant les actions diverses auxquelles elles obéissent.

Cette constitution géologique explique l’état actuel dès Alpes, que se disputent, comme le dit si bien M. Mathieu[1], deux forces antagonistes, l’une la force de dénudation qui démolit les crêtes, ravine les versans, comble les vallées et porte partout la dévastation ; l’autre, la force de végétation, victorieuse autrefois, vaincue aujourd’hui par l’aveuglement de l’homme. Les phénomènes de dénudation ne sont cependant pas tous le fait de celui-ci. Il en est contre lesquels il ne peut rien et qui sont le résultat d’accidens naturels ; tels sont les éboulemens qui se produisent au pied des hauts escarpemens calcaires, les chutes de rochers, les glissemens lents ou subits des terrains qui descendent dans la vallée avec les maisons, les forêts et les pâturages qu’ils supportent. Ces derniers proviennent de ce que les Alpes, soulevées à une époque relativement récente, n’ont pas encore pris leur assiette définitive ; ils cesseront de se produire lorsque, comme disent les ingénieurs, elles auront réglé leurs talus. Mais il en est d’autres qui, provoqués par le déboisement inconsidéré des pentes, sont dus à l’imprévoyance humaine et sont la cause première de la formation des torrens et des ruines qu’il s’occasionnent.

Sous le rapport de la végétation, la nature a pour ainsi dire partagé les montagnes alpestres en trois zones distinctes : sur les sommets, autour des rochers et des glaciers, les pâturages ; sur les pentes des forêts ; dans les vallées, les cultures et les villages. Malheureusement cette division naturelle a fréquemment été troublée ; trop souvent les habitans, abandonnant les vallées, se sont installés dans les régions élevées, ont défriché la forêt autour de leurs demeures, et mis en culture des terres qui, ameublies par la charrue, sont incessamment ravinées par les pluies ; plus souvent encore la zone des pâturages a empiété sur celle des forêts et s’est agrandie par les dévastations journalières des bergers. Étendant chaque année ses limites plus bas dans la montagne, elle a fini par envahir les pentes entièrement dépouillées de leurs bois. Peu à peu le gazon lui-même que ne protège plus le couvert des grands arbres

  1. Le Reboisement et le Regazonnement des Alpes, par M. Matthieu, professeur d’histoire naturelle à l’école forestière, 1865.