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et que broutent sans relâche des troupeaux affamés, disparaît, ne laissant après lui que le flanc dénudé de la montagne, proie facile dont les torrens ne tardent pas à s’emparer.

Le torrent n’est pas un ruisseau ordinaire ; c’est un cours d’eau qui a des caractères propres et un régime particulier. Provenant d’un bassin peu étendu, dont le lit est très déclive, il a des variations brusques ; souvent à sec, il déborde après un orage et renverse les obstacles qui s’opposent à sa course. On distingue les torrens clairs et les torrens boueux. Les premiers, qui sont ceux des terrains éruptifs, n’entraînent que peu de matériaux et sont caractérisés par des crues subites, dues à ce que les eaux, coulant sui des roches imperméables, se précipitent instantanément dans les ravins et se réunissent en masses considérables. Les seconds, au contraire, qu’on rencontre particulièrement dans les Alpes françaises, se sont creusé un lit dans des terrains sans consistance ; ils affouillent incessamment les parties inférieures des berges, provoquent des éboulemens, entraînent avec eux les matières provenant de la dégradation des pentes et débouchent dans les vallées inférieures en couvrant les terres et les cultures d’une boue noire et épaisse. Le lit du torrent se creuse de plus en plus, en même temps que ses berges s’élargissent ; des ravins nouveaux se forment et se ramifient, rongeant pour ainsi dire la montagne, qu’ils détruisent peu à peu, ou qui, sapée par la base, glisse parfois tout entière dans la vallée qu’elle obstrue.

Dans l’ouvrage que nous avons cité, M. Surell distingue dans chaque torrent trois régions déterminées : l’une, dans laquelle les eaux s’amassent et affouillent le terrain, c’est le bassin de réception ; une deuxième, où le torrent, dépose les matières qu’il a charriées dans son cours, c’est le lit de déjection ; la troisième, comprise entre les deux premières, où le torrent passant d’une action à une autre, n’affouille ni ne dépose, c’est le canal d’écoulement, auquel il arrive par un goulot ou gorge. C’est dans le bassin de réception, dont la forme est celle d’un vaste entonnoir, qu’au moment de la fonte des neiges, ou lorsqu’un orage vient à s’abattre sur la montagne, s’accumulent les eaux de tous les ravins secondaires qui se précipitent de tous les côtés à la fois vers la gorge dont les berges abruptes incessamment minées vont en s’évasant. Perdant de leur force à mesure que la pente s’adoucit, ces eaux n’exercent plus d’action destructive en traversant le canal d’écoulement, à l’orifice duquel elles s’étalent en répandant les matériaux entraînés. Les lits de déjection ainsi formés sont des amas de cailloux et des rochers cimentés par une boue durcie et disposés en éventail, sur une étendue qui dépasse parfois plusieurs kilomètres et qui n’offre le plus