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Le territoire de chaque commune devrait être divisé en plusieurs zones, de façon à assigner des cantons spéciaux à chaque catégorie d’animaux. Ainsi, il convient de réserver aux moutons hivernés les terrains qui sont le plus à proximité des habitations ; aux moutons de commerce et aux moutons transhumans, ceux des régions supérieures, et au gros bétail ceux dont la pente est faible et l’accès facile. Le nombre des animaux serait rigoureusement limité par la possibilité, pour les pâturages, de les nourrir sans se dégrader, et devrait au maximum être porté à trois moutons ou une vache par hectare. Quant aux terrains ruinés, ils seraient mis en défends jusqu’à ce que la végétation y eût repris son empire. Si on laisse les communes maîtresses d’elles-mêmes, avant vingt ans tous les pâturages de la haute montagne seront transformés en rochers, les cultures inférieures auront disparu sous tes déjections des torrens, et les populations auront abandonné un pays qui ne pourra plus les faire vivre.


IV

L’œuvre de la restauration des Alpes est complexe et comprend des mesures de deux ordres différens, des mesures curatives et des mesures préventives. Il faut, d’une part, remédier au mal existant en provoquant l’extinction des torrens actuels ; d’autre part, empêcher le mal de se produire en évitant, par la réglementation du pâturage, la formation de nouveaux torrens. Nous avons vu que l’administration forestière, en ce qui concerne la première partie de cette tâche, avait rempli sa mission aussi complètement que les moyens mis à sa disposition le lui avaient permis. Si donc l’étendue des terrains reboisés jusqu’ici dans la région des Alpes ne comprend encore que 16,200 hectares environ, quand celle des terrains à reboiser dans les seuls départemens de l’Isère, de la Drôme, des Hautes et des Basses-Alpes, s’élève à 200,000 hectares, ce n’est pas à elle qu’il faut s’en prendre, mais à l’insuffisance de la loi qui, entravant ses efforts, ne lui a pas permis de faire davantage. Si l’on ne se décide pas à prendre un parti énergique, il faudrait, à raison de 800 hectares par an, environ trois siècles pour terminer l’œuvre entreprise ; mais bien avant ce moment, toute la région des Alpes serait transformée en désert[1].

  1. D’après le dernier compte-rendu, le nombre des périmètres décrétés d’utilité publique, dans la région des Alpes, s’est élevé à 119, englobant une étendue totale de 90,023 hectares, sur lesquels 16,240 hectares ont été reboisés et 1,173 hectares regazonnés. Les dépenses faites par l’état, tant pour travaux que pour indemnités de pâturage, se sont élevées à 8,180,208 fr. 70.
    L’étendue totale des terrains reboisés dans les diverses régions montagneuses de la France jusqu’au 1er janvier 1879 est de 84,715 hect 87, dont 33,990 hect. 50 comme travaux obligatoires et 50,716 hect. 37 comme travaux facultatifs. Dans le chiffre ri- dessus
    les terrains particuliers sont compris pour 20,940h 35
    les terrains communaux pour 59,295 64
    les terrains domaniaux pour 4,479 87
    84,715 88


    La somme payée par l’état, tant pour travaux que pour subventions, s’est élevée à 13,396, 630 fr. 85.