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Quelquefois un irrésistible convive était là pour brusquer la victoire ; c’était l’autre grand Français d’Égypte, le vieil ami de Mariette, et quand celui-là veut quelque chose, Dieu le veut. Je crois bien que le savant appréciait surtout, dans le coup de génie de son ami, le mérite d’avoir ressuscité une idée des pharaons ; — je crois bien qu’il lui en a voulu plus tard d’avoir fait infidélité à l’Égypte pour aller sabrer d’autres continens et forcer toutes les mers à crier son nom, comme dit le psalmiste.

Après une belle défense, Mariette succombait à tant d’embûches et prenait feu à propos de quelque grosse hérésie scientifique. Il discutait et rectifiait le fait, mais ce n’était qu’un moment. Le fait le conduisait à une théorie générale, qui se changeait bientôt elle-même en une course impétueuse à travers toutes les idées. Quand les objections avaient suffisamment attisé la flamme, tous faisaient silence, le bey continuait seul, et, durant des heures, nous suivions l’éclatante mêlée de pensées, de rêves, de souvenirs humains et d’espérances éternelles qui hantaient ce cerveau : pensées si fortes, qu’il nous semblait parfois entendre comme un bruissement d’ailes autour de son front. Ah ! ces « Propos de table » du grand docteur, comment un de nous n’a-t-il pas songé à les noter fidèlement ? Ce serait le livre qui aurait dû rester de cet homme, pour aller droit à la foule, rebelle aux travaux spéciaux ; saisi de la sorte tout vivant, le livre de l’apôtre lui eût conquis plus de disciples que les mémoires d’académie ; il eût, j’ose le dire, traduit l’âme du penseur mieux que ne l’ont fait ses propres écrits, car sa parole était aussi audacieuse que sa plume était timide. Ce sage nous montrait alors toutes nos idées modernes usées déjà par les sages de la vieille Égypte. Cette théorie de la lutte pour l’existence qui nous séduit aujourd’hui, qu’est-ce autre chose que l’explication du monde donnée par les Égyptiens, la lutte d’Osiris et de Typhon, des principes du bien et du mal, des forces créatrices contre les forces destructives dans la nature ? Mariette nous montrait cette conception inspirée aux hommes, dès l’origine, par le spectacle du renouveau perpétuel dans la vallée africaine, par la victoire et la défaite quotidiennes du soleil qui vivifie et des ténèbres qui tuent. Il nous mettait en garde contre l’injure faite à son peuple quand on l’accuse d’avoir adoré les animaux figurés dans ses temples : c’étaient là des signes convenus, de simples appellations, qui-symbolisaient dans l’idée du vulgaire les forces multiples de la nature, les qualités abstraites de l’être divin. Alors comme de tout temps, la foule matérialisait les symboles concédés à sa faiblesse ; les âmes nourries de plus de lumière les écartaient pour remonter à la source unique de vie et de bonté. Mariette disait fort bien que les conceptions des