Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV

Une faute plus grave encore fut de vouloir rouvrir au bout de quinze mois la controverse à laquelle avait donné lieu l’élection présidentielle de 1876. Un ami de M. Tilden, M. Montgomery Blair, avait fait émettre par la législature du Maryland le vœu que les fraudes électorales qui avaient empêché le véritable élu de la nation d’être élevé à la présidence fussent mises en lumière et punies. Ce fut le signal d’une campagne qui devait tourner au détriment de ses promoteurs. Les autorités de la Louisiane traduisirent en justice les membres de l’ancienne commission de recensement comme coupables d’avoir falsifié les résultats électoraux et firent condamner l’un d’eux, nommé Anderson, à deux ans d’emprisonnement. Les papiers saisis chez Anderson et les débats de son procès firent connaître un certain nombre de faits scandaleux, et donnèrent la preuve que plusieurs personnages considérables du parti républicain, les sénateurs Matthews et Chandler et le ministre des finances Sherman avaient été en relations secrètes avec les meneurs de l’élection présidentielle dans le Sud et n’avaient pas ignoré si même ils n’avaient encouragé les fraudes commises. S’appuyant sur ces révélations, un député démocrate, M. Potter, proposa une enquête législative sur les fraudes qui avaient pu vicier l’élection présidentielle dans certains états. Cette proposition avait pour effet de remettre en question la légitimité des pouvoirs de M. Hayes et de faire peser sur le parti républicain l’imputation de manœuvres illégales. Aussi les débats furent-ils empreints d’une acrimonie extrême. La minorité républicaine de la chambre ne put empêcher le vote de l’enquête, mais elle fit accepter, à titre d’amendement que l’enquête serait étendue à tous les états et qu’elle porterait sur les agissemens de tous les partis.

L’enquête fut immédiatement ouverte à Washington même, et elle fut conduite avec toute l’ardeur de la passion. Elle faillit amener un conflit entre les deux chambres : le sénateur Matthews, cité devant la commission de la chambre, refusa de comparaître en se retranchant derrière ses prérogatives de sénateur, et il fut question de le faire appréhender au corps. Les investigations de la commission firent découvrir une foule de faits qui jetaient le jour le plus déplorable sur les mœurs politiques aux États-Unis ; il fut établi qu’en Louisiane le pli cacheté renfermant les relevés électoraux avait été ouvert frauduleusement, que des relevés fictifs avaient été substitués aux relevés authentiques, qu’on avait contrefait plusieurs des signatures qui devaient garantir l’authenticité de ces