Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 43.djvu/878

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Mme de Simiane, l’abbé de Damas, à toute la famille de Malouet, et même à des personnes qui n’étaient pour elle que de lointaines relations, telles que Mme de Laborde, la femme du banquier si connu de la cour, et la vicomtesse de Laval. Elle mettait à leur service son ardeur ingénieuse, ses relations et, ce qui n’était pas un mince service dans un temps où l’argent faisait défaut à chacun, sa fortune. Cependant les biens de M. Necker avaient été confisqués comme biens d’émigrés ; une somme de 2 millions, laissée par lui au trésor, avait été déclarée acquise à la nation, et sur la porte du parc de Saint-Ouen s’étalait une pancarte avec ces mots : Bien national à vendre. Ce qui avait valu à M. Necker cette double injustice (car, n’ayant jamais renoncé à sa qualité de citoyen suisse, il ne pouvait être traité d’émigré), c’était le Mémoire qu’il avait publié pour la défense du roi. Lorsque la nouvelle de l’incarcération de Louis XVI au Temple était parvenue à Coppet, M. Necker avait pensé qu’il appartenait à son ancien ministre, à celui qui avait été le témoin et le collaborateur de ses efforts consciencieux, d’élever la voix et de rendre témoignage en sa faveur. Le plaidoyer de M. Necker, qui contient de beaux passages, eut un assez grand retentissement, surtout à l’étranger. « Le Mémoire de M. Necker, écrivait Gibbon, a eu un succès universel et mérité. La partie où il s’efforce de raisonner et celle où il s’efforce d’émouvoir, me paraissent également bonnes, et son éloquence insinuante est de nature à persuader. » Mais ce Mémoire ne toucha pas plus les ennemis de M. Necker qu’il ne persuada les juges de Louis XVI, et l’interdit que la passion politique avait jeté sur Coppet ne fut pas levé.

Une malveillance aussi continue n’affaiblissait cependant en rien l’ardeur de l’intérêt que les habitans de Coppet portaient aux augustes prisonniers du Temple et ne décourageait point les stériles efforts qu’ils croyaient de voir tenter pour éveiller en leur faveur la compassion de l’opinion publique. Lorsque commença le procès de la reine, M, ne de Staël sentit bouillonner en elle tous les sentimens que l’indignation et la pitié peuvent soulever dans un cœur de femme ; et, toute vibrante de ces sentimens, elle écrivit en quelques jours ces pages émues, qui furent répandues en France sous le titre : Réflexions sur le procès de la reine, sans s’inquiéter de l’influence que cette publication pourrait avoir sur le sort de la réclamation portée par M. Necker contre la confiscation de ses biens. Après avoir pris la défense de la reine et de toute sa conduite depuis le jour de son arrivée en France, elle continuait en traçant le tableau de ses souffrances depuis les premiers jours de la révolution et dépeignait ainsi son état depuis sa captivité :