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sur-le-champ une lettre de crédit de 40,000 livres et l’ordre de tout tenter pour gagner le geôlier et de lui promettre hors de France un sort indépendant. Dans l’intervalle de ce messager, dont je n’ai pas encore de nouvelles, un négociant suisse, qui n’est pas l’ami dont vous avez les lettres, mais un homme payé, que j’ai uniquement consacré à l’amie de Charles, me mande qu’il a l’espoir de la sauver dans trois semaines. J’ose si peu me livrer à cette lettre que je ne l’écris pas directement à Charles. Je n’ai point non plus de nouvelles du messager pour la jeune amie, mais j’ai recommandé de ne point écrire sans nécessité, et dans cette lettre du 11 juillet, qui annonçait la transfération de l’amie de Charles, et le désespoir qu’en ressentoit notre amie, on me demandoit avec la même instance ce que j’ai envoyé, et l’on paroissoit concevoir les mêmes espérances. J’attends chaque jour, ou la mort, ou la vie, car j’ai envoyé pour notre amie tout ce qu’on demandoit : une boiteuse est partie, un jeune homme pour le fils et des moyens pour la grand’mère. J’ai rappelé ce mot : Sauvez mon amie et je vous suis partout. Enfin, avec l’ardeur d’une personne qui se croit sûre de la proscription de tous les individus arrêtés en France, j’ai supplié d’acquiescer à ma dernière prière et à mes meilleurs moyens. J’attends à présent, il n’y a plus rien à tenter, il faut s’envelopper dans son manteau et recevoir le ciel ou l’enfer, de la Providence ou des bourreaux.

L’agent de la jeune amie en Suisse ne vaut rien à mon avis, — point d’activité, point de sentiment. Mme de Tott, à laquelle on se confie, est encore plus incapable, à ce que je crois, d’un attachement vrai et indépendant du calcul ; mais tous ces inconvéniens sont nuls dans la circonstance actuelle. Je crois le sort de la jeune amie décidé à présent. Si on l’a tirée de prison, elle sera ici, sans aucun doute, avant huit jours, et notre amie l’aura suivie, car il est impossible qu’elle ne sente pas l’impossibilité de rester après s’être mêlée de l’évasion de la jeune. Je rêve, en vérité, je rêve ; tant de bonheur n’est pas dans l’ordre naturel. La princesse de Broglie s’est sauvée d’une maison d’arrêt de Vesoul et est arrivée ici à notre manière ; c’est Théodore qui l’a servie.


On me pardonnera d’avoir cité ces trois lettres, en dépit de leur longueur et de leur désordre ; car si l’on en peut trouver littérairement de plus belles, il n’y en a point qui puissent faire plus d’honneur à Mme de Staël. On voit que son activité et sa sollicitude ne s’arrêtaient pas à ses deux amies, la princesse de Poix et Mme de Simiane, et que, de proche en proche, elle avait fini par s’étendre à tous ceux qui leur appartenaient, à la belle-mère de la princesse de Poix, la maréchale de Beauvau, à sa belle-fille, la comtesse Charles de Noailles (Nathalie de Laborde), au frère de