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encore des accens émus pour peindre la joie que leur avait causée cette nouvelle et le brusque passage du désespoir à l’espérance.


L’une des réflexions qui nous frappoient le plus dans nos longues promenades sur les bords du lac de Genève, c’étoit le contraste de l’admirable nature dont nous étions environnés, du soleil éclatant de la fin de juin, avec le désespoir de l’homme, ce prince de la terre, qui auroit voulu lui faire porter son propre deuil. Le découragement s’étoit emparé de nous ; plus nous étions jeunes, moins nous avions de résignation, car dans la jeunesse surtout, on s’attend au bonheur ; l’on croit en avoir le droit et l’on se révolte à l’idée de ne pas l’obtenir. C’étoit pourtant en ce moment même, lorsque nous regardions le ciel et les fleurs et que nous leur reprochions d’éclairer et de parfumer l’air en présence de tant de forfaits, c’étoit alors pourtant que se préparoit la délivrance. Un jour dont le nom nouveau déguise peut-être la date aux étrangers, le 9 thermidor porta dans le cœur des François une émotion de joie inexprimable. La pauvre nature humaine n’a jamais pu devoir une jouissance si vive qu’à la cessation de la douleur.


La chute de Robespierre, ce n’était pas seulement la fin de ce régime de honte et de sang qui pesait sur la France, c’était aussi la certitude d’une prochaine délivrance pour ces amies si chères, Mme de Poix, Mme de Simiane, qui n’avaient pas voulu s’exposer aux périls d’une évasion, et dont l’imprévoyance se trouvait à la longue avoir eu raison contre la prévoyance de leurs amies. Dans une dernière lettre à la princesse d’Hénin, Mme de Staël se réjouissait de cet espoir auquel il semble cependant qu’elle osât à peine se livrer :


Lausanne, ce 8 aoust.

J’ai reçu, ma chère princesse, ces bonnes lettres où toute votre inquiétude se peint avec tant de vérité. Je pense avec bonheur que dans ce moment vous êtes moins tourmentée, car il est impossible que vous ne sachiez pas que l’on peut se flatter d’un système moins cruel depuis la mort de ce Robespierre qui avoit atteint à l’infini du crime. On dit qu’il y a plusieurs prisonniers relâchés, et j’attribue le retard du retour de mon envoyé pour la jeune amie à l’essai des moyens naturels. Voici les nouvelles que j’ai. Une lettre de mon jeune ami du 27 juillet, veille du jour de la crise, qui me mande que tout est arrivé, c’est-à-dire le messager pour la jeune, celui pour l’infirme, et le courrier qui portoit le crédit de 40 mille livres pour l’intérêt de Charles ; il me dit ensuite ces seuls mots par la poste : Soyez tranquille sur le sort de vos amies. Ce ton est bien différent de celui de la lettre qui anonçoit le