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de nous revoir, et que nous partageons bien, sera bientôt rempli. Nous espérons faire une petite fugue vers Pâques pour présenter M. Maurice à son grand-papa, qui ne le connaît pas encore et qui désire bien de le voir, comme vous pensez. Je veux lui faire une surprise. Je ne lui parlerai de rien dans mes lettres et je lui enverrai Maurice sans dire qui il est. Nous, nous serons derrière la porte pour jouir de son erreur. Mais j’ai tort de vous dire cela, car je veux vous en faire autant. Ainsi n’attendez pas que je vous prévienne de mon arrivée.

Adieu, ma chère maman, donnez-moi encore de vos nouvelles. Je vous embrasse de tout mon cœur, Casimir en fait autant ; pour Maurice, quand on veut l’embrasser, il tourne la tête et présente son derrière ? j’espère que vous le corrigerez de cette mauvaise habitude.


A Madame Dupin, Paris,


Nohant, 29 juin 1825.

Vous devez me trouver bien paresseuse, ma chère petite maman, et je le suis en effet. Je mène une vie si active que je ne me sens le courage de rien le soir en rentrant et que je m’endors aussitôt que je reste un instant en place. Ce sont là de bien mauvaises raisons, j’en conviens, mais du moment que nous sommes tous bien portans, quelles nouvelles a vous donner de notre tranquille pays, où nous vivons en gens plus tranquilles encore, voyant peu de personnes et nous occupant de soins champêtres, dont la description ne vous amuserait guère. J’ai reçu des nouvelles de Clotilde, qui m’a dit que vous vous portez bien, c’est ce qui me rassurait sur votre compte et contribuait à mon silence, puisque j’étais sans inquiétude.

Si vous eussiez effectué le projet de venir à Nohant, nous aurions dans ce moment le chagrin de vous quitter. Je pars d’ici dans huit à dix jours pour les Pyrénées. J’ai eu le bonheur d’avoir ici pendant quelques jours deux aimables sœurs, mes amies intimes de couvent qui se rendent aux mêmes eaux avec leur père et un vieil ami fort gai et fort aimable. En passant à Châteauroux, ils n’ont pu se dispenser de venir chasser quelques jours à Nohant, qui était devenu pour moi un lieu de délices par la présence de ces bonnes amies. Je les ai reconduites un bout de chemin et ne les ai quittées qu’avec la promesse de les rejoindre bientôt. Nous allons donc entreprendre un petit voyage de cent quarante lieues d’une traite. C’est peu pour vous, qui faites le voyage d’Espagne comme celui de Vincennes, mais c’est beaucoup pour Maurice, qui aura demain deux ans. J’espère néanmoins qu’il ne s’en appercevra pas, à en juger par