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décousue et passablement informe. Cette loi, si elle est votée telle qu’elle est, elle ira au sénat, qui n’aura vraisemblablement pas le temps de l’examiner, qui la modifiera dans tous les cas s’il a le temps de s’en occuper. Quand elle reviendra à l’autre chambre, il sera, selon toute apparence, trop tard, et ce qu’il y a de plus clair, c’est qu’on n’aura rien fait, qu’on restera peut-être avec toutes ces lois anciennes, que l’administration laisse dormir quand elle veut, qu’elle applique aussi quand elle veut. C’est ce qu’on pourra appeler faire beaucoup de bruit pour rien, faute d’une idée simple, claire et immédiatement réalisable.

Ici du moins l’œuvre avait un caractère de convenance pratique, d’utilité précise ; elle était indiquée par la nature des choses, par la nécessité d’en finir avec une législation confuse, d’en arriver à un régime de légalité libérale mieux définie, et ce qui est vrai d’une loi sur la presse ne l’est pas moins d’une loi sur les associations qui, si elle eût existé, eût épargné au gouvernement de tristes et dangereuses tentations d’arbitraire. Ce qu’on peut appeler une réforme de fantaisie, une question inutile, c’est cette proposition de rétablissement du divorce qui a passé, elle aussi, par une commission parlementaire et qui vient d’occuper quelques-unes des plus récentes séances de la chambre sans aucun résultat. Ce n’est point assurément que cette discussion ait manqué d’intérêt ; elle a été aussi substantielle que brillante. Le divorce, tel qu’il a existé un instant, dans les conditions du code civil de 1803, a été défendu avec une savante et séduisante habileté par le rapporteur de la commission, M. Léon Renault, il a été combattu au contraire par M. Henri Brisson avec une intrépidité et une force d’éloquence presque inattendues. M. le garde des sceaux est intervenu à son tour et, s’il n’a pas été toujours heureux dans ses développemens, il a du moins prononcé quelques paroles décisives contre la proposition. Au demeurant, le divorce a été repoussé par la chambre des députés elle-même sans avoir à aller échouer devant le sénat. La question a été tranchée par le parlement comme elle l’est par l’instinct public. Qu’il y ait des situations douloureuses, des cas exceptionnels, des unions violemment troublées où le divorce apparaîtrait comme un bienfait, personne ne le nie, mais les lois ne sont pas faites pour ces cas exceptionnels et douloureux. La considération supérieure, en dehors de bien d’autres raisons, c’est l’intérêt social qui sanctionne et maintient l’indissolubilité du mariage comme la condition de la perpétuité de la famille, comme la sauvegarde légale des enfans dont l’existence crée le plus puissant des liens. Où donc était la nécessité de réveiller une question qui peut être une thèse d’une académie de législation, mais qu’aucun mouvement d’opinion n’impose, qui ne répond sûrement pas à un sentiment populaire ? quel intérêt politique y a-t-il à donner un stimulant de plus à la mobilité des unions, à affaiblir le lien social au milieu d’une démocratie qui a besoin de fixité et de frein ?