chemin ; l’inconscient est comme l’individu complet et sain, mais qui ne peut voir avec les jambes ni marcher avec les yeux[1]. » Malgré cette unité fondamentale, il existe au sein de l’inconscient, selon M. de Hartmann, une opposition éternelle entre la volonté et l’idée, et c’est cette opposition, cette division qui produit le monde. Déjà Schelling avait dit, non sans profondeur : « Il n’y aurait pas de processus, si quelque chose n’existait pas qui ne doit pas exister, ou du moins n’existait pas sous une forme qu’il ne devrait pas avoir. » Ce qui ne devrait pas exister, selon M. de Hartmann comme selon Schopenhauer, c’est le « vouloir-vivre; » le processus du monde a donc pour but d’amener l’idée, d’abord inconsciente de la folie inhérente au vouloir-vivre, à une pleine conscience de cette folie, de manière à déterminer la volonté à ne plus vouloir[2].
Telle est la conciliation de Hegel et de Schopenhauer que nous propose M. de Hartmann dans sa métaphysique de l’inconscient, qui, comme on le voit, ressemble fort aux mystères théologiques du moyen âge[3]. Il était nécessaire de bien comprendre le point de vue propre à M. de Hartmann pour saisir le caractère original de sa morale. Une fois la raison rétablie à côté de la volonté dans le principe suprême de l’évolution universelle, la raison devait aussi reprendre sa place légitime dans la moralité humaine. Pour Schopenhauer, la volonté dans chaque homme est ce qu’elle est et peut être ; il n’y a donc pas à chercher ni à formuler en préceptes ce qu’elle doit être. Pour M. de Hartmann, à côté de la volonté il y a la raison, dont le rôle est précisément de reconnaître, comme disait Schelling, a que quelque chose est qui ne devrait pas être, » et d’amener par le progrès de la conscience ce qui ne devrait pas être à cesser d’être. Dès lors, la notion de devoir n’est plus aussi absurde et aussi vide pour M. de Hartmann que pour Schopenhauer. Le devoir est la raison s’ opposant à la
- ↑ Philosophie de l’inconscient, t. II, p. 559.
- ↑ Ibid.,247.
- ↑ M. de Hartmann a de véritables accès de dévotion envers son dieu inconscient et il admire ses voies comme les théologiens admirent celles de leur providence. Si, par exemple, Schopenhauer a méconnu l’idée au profit de la volonté, c’est par un dessein providentiel : «Comment assez admirer et louer la sagesse de l’Inconscient, qui a su associer dans !e même homme tant de génie à tant d’étroitesse, pour montrer aux philosophes futurs ce qu’on peut tirer de la volonté comme principe unique, et ce qu’elle ne peut donner ! Dans l’intérêt du développement des idées philosophiques, il était aussi nécessaire que ce principe fût affirmé exclusivement, qu’il l’était que le principe opposé fût exalté outre mesure par Hegel. » (Id., p. 515.) Inutile d’ajouter que M. de Hartmann se considère lui-même comme un homme providentiel destiné par l’Inconscient à prendre conscience des mystères de l’Inconscient et à les révéler aux hommes.