Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/200

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fusils à Lyon, en Provence, quelques canons sauvés du désastre d’Arles. On achetait des chevaux pour les officiers, des vivres pour l’armée.

Les frères Allier, l’abbé de la Bastide de la Molette, le chevalier de Melon, étaient, avec le comte de Saillans, plus que lui, l’âme de l’entreprise. Le chevalier de Melon surtout se prodiguait, formait des plans, prononçait des discours, déployant avec une bravoure chevaleresque une maturité bien au-dessus de son âge. Des prêtres réfractaires servaient d’émissaires, obéissaient aveuglément, imposaient la même obéissance autour d’eux et aidaient au recrutement de l’armée avec le concours des notables du pays et d’une poignée de déserteurs. Ces préparatifs en se complétant ne pouvaient passer inaperçus. Le directoire du département s’en inquiétait, les dénonçait à l’assemblée nationale, et, quoiqu’il manquât de troupes, faisait un effort pour renforcer de douze gendarmes les défenseurs du château de Bannes, contre lequel il redoutait une attaque, en même temps qu’il sollicitait à Paris de prompts secours. De toutes parts, dans le Vivarais, renaissaient des symptômes de guerre civile. Saillans, après avoir vécu caché pendant quelque temps, commençait à se montrer, assistait religieusement à la messe, un crucifix à la boutonnière, une croix au chapeau, se laissait aller à des promesses imprudentes, toujours gardé par une petite troupe prête à verser son sang pour lui.

Ainsi, chaque jour l’engageait davantage, rendait plus inévitable une explosion prochaine et le mettait hors d’état de l’empêcher, résultat d’autant plus fâcheux qu’à la même heure l’Espagne faisait savoir à Coblentz qu’elle ne donnerait pas son concours aux royalistes du Midi, qu’elle ne favoriserait aucune de leurs tentatives, et que lui-même était sans nouvelles comme sans ordres du comte de Connway,

Le silence de ce dernier, que les membres du comité de Jalès ne pouvaient s’expliquer, les exaspérait. Leur sentiment éclata dans une réunion secrète à laquelle ils furent appelés et qui se tint sous la présidence de Claude Allier, le 23 juin, à minuit, dans la forêt de Malons, non loin de Saint-Ambroix. L’heure et le lieu choisis pour ce rendez-vous, les splendeurs d’une chaude nuit méridiolale, sous des bois de vieux châtaigniers, étaient faits pour parler aux imaginations. Invité à s’expliquer, le comte de Saillans rendit compte de la tournée qu’il venait de faire dans les contrées soumises à son commandement, exprima sa satisfaction de ce qu’il avait vu et sa confiance dans un prochain succès. Mais il ajouta que la prudence exigeait que ses opérations fussent concertées avec les efforts des puissances étrangères et qu’il considérait comme un devoir d’attendre les ordres du comte de Connway.