Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

adresse aux princes pour les remercier d’avoir désigné un tel chef et les solliciter de lui donner des ordres en vue d’une action immédiate.

Dès le lendemain commença pour M. de Saillans la dure vie qu’il ne cessa de mener pendant toute la campagne. Accompagné du curé de Chambonas, il parcourut les montagnes depuis les limites de la Lozère jusqu’aux bords du Rhône, Villefort, les Vans, Saint-Ambroix, la vallée de Jalès; il examina de loin le château de Bannes, où, depuis quelques semaines, le directoire du département avait installé une petite garnison et conçut le projet de s’emparer de ce poste important. Il voyageait la nuit, se cachait le jour, changeait souvent de nom et de costume, ainsi que le faisait Claude Allier.

Dominique Allier, avec son intrépidité ordinaire, servait d’éclaireur aux deux voyageurs. Il allait en avant, préparait les fidèles à les recevoir. Le comte de Saillans trouva partout un si favorable accueil qu’il ne put discerner ce qu’il y avait de vrai dans le dévoûment dont il recueillait les symptômes ou de factice. Reçu comme un libérateur, habile à exciter le zèle de ses partisans, il les charma par sa bonne grâce et crut qu’il pouvait compter sur eux. Tout était si bien organisé pour lui faire illusion qu’il dut croire qu’il avait en son pouvoir un peuple impatient de se soulever. Par malheur, cette impatience n’était qu’à la surface, et ce fut sa faute de ne pas pénétrer plus profondément dans les masses, où il aurait rencontré la vérité.

Ce qui acheva de le tromper, c’est qu’il recueillit partout des témoignages du ressentiment public contre les royalistes de Mende, dont on ne l’entretenait que pour les accuser d’avoir compromis la cause royale et gaspillé, par un luxe égoïste el inutile, l’argent des princes, au lieu de le consacrer à des approvisionnemens nécessaires. Il ne s’aperçut pas que ce dernier reproche, beaucoup d’autres, autour de lui, le méritaient; qu’il était fait trop souvent un usage coupable des sommes envoyées de Coblentz, au camp de Jalès, et qu’au milieu du désordre général, bon nombre de gens trouvaient commode de puiser dans ce trésor pour pourvoir à leurs besoins personnels, soit en réalisant des bénéfices sur les achats qu’ils étaient chargés de faire, soit en détournant de leur emploi légitime les subsides qui passaient par leurs mains.

Son excursion terminée, il revint dans le voisinage des châteaux de Jalès et de Banes et s’installa chez une riche veuve, très ardente, royaliste, dans la commune de Saint-André-de-Cruzières, où il lui était aisé de vivre caché, tout en continuant à correspondre avec ses amis. Là, les préparatifs d’une prise d’armes se continuèrent, sans qu’on en eût fixé la date. On envoyait chercher des