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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/210

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les connaissent par ce qu’on en dit. Ainsi, l’étranger qui admire ces belles vignes dans les terrains riches de l’Hérault ou du Gard, et qui suppute par la pensée ce que rapportera à son heureux propriétaire le sarment d’une seule de ces magnifiques souches, se demande avec étonnement pourquoi le voisin, qui a toute l’année ce séduisant spectacle sous les yeux, en plante lui-même si rarement ; pourquoi les possesseurs de ces plantes exotiques ne trouvent pas à en placer le produit autour d’eux, où tout reste à faire, où on aperçoit à perte de vue d’immenses espaces autrefois couverts de vignes, aujourd’hui dénudés, et pourquoi ils s’efforcent, par une agitation incessante, de se créer des débouchés au loin. A côté des succès qui nous frappent, y a-t-il des échecs qui nous échappent, et que les gens du pays connaissent bien? Y a-t-il seulement des dépenses excessives qui les épouvantent, et font d’une opération agricole une spéculation commerciale dont les gens paisibles hésitent à courir les chances? — Je ne sais; mais ce contraste entre l’enthousiasme des possesseurs de plants américains qui en ont à vendre et le calme de leurs voisins qui n’en achètent point me paraît digne d’attention.

L’opération du greffage va placer les vignes américaines dans des conditions si différentes de celles où elles ont végété jusqu’à ce jour, qu’il faut s’arrêter un moment sur les conséquences possibles de cette transformation. Nous admettrons avec les botanistes et les horticulteurs que le greffage ne modifie ni la nature du sujet, ni la nature du greffon[1] ; mais une plante se nourrit par les feuilles autant que par les racines; les racines prennent au sol et élaborent des substances que la sève ascendante porte aux feuilles; les feuilles, par un mécanisme analogue à la respiration, puisent dans l’atmosphère d’autres substances qui modifient chimiquement les premières; puis la sève descendante ramène le tout aux racines et aux points divers où se produisent des formations nouvelles. De là, entre les racines et les feuilles, un échange incessant où, suivant les circonstances, chaque système donne à son associé plus ou moins qu’il n’en reçoit. Si une espèce possède un feuillage exubérant et un système radiculaire moins développé ou accidentellement amoindri, la feuille ne peut-elle, en produisant des sucs plus abondans, mieux élaborés, venir en aide à la racine, la soutenir, et si celle-ci doit traverser une crise, lui fournir les élémens d’une plus longue résistance? L’effet contraire ne pourrait-il se montrer dans d’autres circonstances, et une feuille pauvre atténuer plus ou moins la puissance de résistance d’une racine vigoureuse et par là même plus

  1. Le sujet est une plante enracinée dont on supprime ou dont on supprimera la tige et à laquelle on adapte le greffon; le greffon est un fragment d’une autre plante qui, adapté au sujet, s’y soudera et en remplacera la tige. Le sujet fournit la racine, le greffon la tige de la plante unique qui résulte de l’opération.