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Mêlez à tout cela les dissonances, les accords chromatiques ; joignez-y les deux notes d’élan empruntées à la mesure précédente et qui, vers la fin, donnent à la symphonie une nouvelle force d’impulsion décidément irrésistible. Nous savons bien, nous savons trop tout ce qu’il y a à dire contre cet art, et nous-même l’avons dit vingt fois à cette place : c’est capiteux, vertigineux, plein de précipices, mais plein de trouvailles. Nous autres, élevés à l’école de Mozart, de Beethoven et des grands italiens du passé comme du présent, nous en pouvons discourir à notre aise, préservés d’avance que nous sommes de la contagion; mais qu’on se figure ces nouvelles classes dont nous parlions tout à l’heure, arrivant là sans étude ni culture et poussées par le seul besoin de se distraire des travaux et des servitudes de la semaine, ou verra se produire alors ce qui se passe: chacun obéissant à l’unique impulsion de son tempérament, il y aura tout de suite le camp de l’enthousiasme et celui de la résistance, les uns applaudissant, les autres sifflant à outrance, car cet art-là, pour l’apprécier à sa juste valeur, il faut absolument s’y connaître; dans le cas contraire, il vous repousse inexorablement, tout comme il est capable de vous mener au fanatisme et de faire de vous des hallucinés ou des convulsionnaires de Saint-Médard.


L’Opéra ne se possède plus; le nouvel ouvrage de M. Gounod l’absorbe tout entier, et certes il y paraît aux représentations qui sont trop souvent assez médiocres, d’où l’on aurait tort de conclure que les répétitions du Tribut de Zamora soient excellentes, car de cela nous ne savons rien que ce que les nouvellistes soi-disant bien informés en colportent un peu partout. Personne n’ignore que, par le temps qui court, la publicité s’empare d’un ouvrage six mois avant la représentation. A peine l’auteur a-t-il vu s’ouvrir l’ère des répétitions que sa vie privée appartient à la chronique quotidienne : on vous raconte de quelle viande il se nourrit et de quel bois il se chauffe; comment il dort et comment il travaille; et s’il arrive, — comme il paraît que c’est le cas avec M. Gounod, — que l’illustre maître ait pour cabinet une manière de sanctuaire gothique, on vous le montre en archimandrite byzantin assis gravement sous un dais vis-à-vis d’un grand orgue d’église et donnant à la muse des audiences pontificales. Étonnons-nous ensuite que de si grotesques apologies provoquent la controverse et que, dès les répétitions, deux courans d’opinion s’établissent: les uns soutenant que tout marche à souhait, que « Charles Gounod veut que sa partition soit parfaite et que, dans ce but, il travaille la nuit à faire disparaître les imperfections révélées par les études du jour; » les autres s’appuyant de cet aveu même pour avancer tout le contraire et nous dire que ces répétitions sont le canevas de Pénélope, qu’on y défait le lendemain la besogne du jour précédent, et qu’il s’y distribue en somme beaucoup moins de louanges que de sages et prudens conseils : Cher maître.