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synonyme de châtiment. Lorsque le directeur d’un collège rival dans une amplification de rhéteur, déclarait Ramus gravissimis suppliciis dignissimus, il ne demandait pas certainement qu’on le précipitât sanglant du cinquième étage sur le pavé pour livrer en curée aux écoliers furieux son cadavre palpitant encore. S’il avait vu ce grand orateur condamné au silence, ce grand érudit privé de ses livres, ce tyrannique doyen expulsé de sa chaire, ce riche principal du collège de Presles déçu dans les desseins où il plaçait sa gloire, réfugié sans défense dans ses bâtimens déserts ou abandonnés aux vaches des villages voisins, cet orgueilleux professeur après tant de traverses, offrant à l’université de Genève ses services qu’elle refuse, ému par de si graves supplices, le bonhomme Galland aurait appliqué son éloquence à en déplorer l’amertume. Quand Ramus, accusé d’avoir mêlé la littérature aux leçons de science et de philosophie, avait dit au parlement : « Telle est la discipline de mon école, si vous la jugez digne de graves supplices, tournez contre moi vos rigueurs (omnes in me cruciatus convertite), n’avait-il la pensée de leur offrir sa tête?

Charpentier enfin, dans un discours prononcé en 1570, félicite le Collège Royal d’avoir été délivré de la tyrannie de Ramus et remercie Dieu qui l’a frappé (Deo optimo maximo vindice). Longtemps avant la Saint-Barthélemy, le supplice infligé à Ramus pouvait satisfaire la vengeance de ses adversaires, et Charpentier en rendait grâce à Dieu.

Le pusillanime Lambin mourut de la fièvre peu de semaines après le meurtre de Ramus. Si Lambin n’avait pas supposé capable de tout l’adversaire qui l’appelait Logodædalus, il aurait attendu tranquillement des jours meilleurs, et Charpentier, dit-on, est cause de sa mort. Sa frayeur, sa maladie, sa mort, ne déposent-elles pas d’une manière saisissante contre cet homme violent et vindicatif si prodigue de menaces, et qui ne menaçait pas en vain?

De tels argumens ne déposent-ils pas, au contraire, contre l’accusation passionnée qui les accueille et les allègue? Charpentier dès longtemps, n’avait que mépris pour la ridicule couardise de Lambin; loin de le menacer, il le ménage. « Je lui aurois depuis longtemps répondu, écrit-il; mais averti par moi pendant l’effervescence de nos guerres civiles, qu’il eût à apporter plus de prudence en parlant des affaires publiques, il a été tellement troublé que, le prenant en pitié, je me suis efforcé de le rassurer et de le soutenir. » Est-ce là le langage d’un homme implacable et violent qui rumine le dessein d’une cruelle vengeance ?

Charpentier a exprimé plus d’une fois ce sentiment. « Prends garde, lui écrivait-il ; nous vivons dans des temps difficiles, et certaines