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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/327

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paroles sont dangereuses. » Avertissement sage et raisonnable, bien éloigné de la menace, et que le meilleur ami alors aurait pu donner à son ami.

Charpentier, dit M. Waddington, a déclaré à Lambin qu’il aimait mieux un protestant qu’un politique ; Lambin, étant compté parmi ceux qu’on désignait ainsi, n’avait-il pas raison de trembler?

Charpentier, dans deux lettres à Lambin, dont la seconde est fort belle, relève avec force son manque de courage et lui dit d’excellentes vérités : « Si tu es protestant, proclame-le hautement; assez de gens t’approuveront, en Angleterre, en Allemagne, en France aussi, hélas! Cacher sa pensée n’est pas d’un honnête homme.

« On ne se méprend pas sur la religion de ceux qui n’obéissent pas aux circonstances et au temps plus qu’à Dieu et à leur conscience.

« J’ai connu des protestans sincères, je n’ai pas cessé de les aimer.

« Choisis un port, mon cher Lambin, quel qu’il soit, même celui qui s’éloigne de nous. »

En songeant à ces virils conseils, à cette invitation à la franchise, à cet appel à la dignité et au courage. Lambin avait-il le droit de trembler jusqu’à en mourir? Il y a plus, loin de se montrer violent et haineux, Charpentier accorde à Lambin les louanges qu’il mérite, comme humaniste illustre et de premier ordre. « Je te cède, lui dit-il, la supériorité à corriger les manuscrits anciens, restituer, comme Aristarque, leur véritable éclat à Cicéron, Lucrèce, Horace et Plante. Pour enseigner aux Grecs et aux Latins eux-mêmes comment on doit écrire et prononcer dans leur langue, chacun s’adressera à Lambin, non à Charpentier. »

Sa haine, qu’il ne cache pas, ne l’empêche nullement de reconnaître aussi le talent oratoire de Ramus ; il le nomme « le Roscius de notre âge. »

Ramus fut en effet un grand orateur, les témoignages sont unanimes, quoique plus d’une fois, en parlant de lui, de bons juges, Turnèbe entre autres, aient prononcé le mot de comédien. De nombreux et éminens disciples ont honoré sa mémoire. Mêlant la dialectique à tout et condamnant d’un ton de maître, avec une sévérité pédantesque, tous ceux qui, obscurs ou illustres, morts ou vivans, en avaient, même dans la forme, ignoré ou méconnu les principes, confiant en lui-même, tranchant dans ses critiques, impérieux au-delà de ses droits, sa vie fut une longue lutte à laquelle il semblait se plaire. Ses écrits, délaissés aujourd’hui, ne méritent qu’une médiocre louange, mais pendant plus d’un demi-siècle d’innombrables