dévots seraient trompeurs, la piété n’en serait pas moins un devoir, Bourdaloue revient sur cette concession apparente et soutient qu’il existe une vraie piété : « Grâces immortelles vous soient rendues, ô Seigneur! vous êtes encore connu en Israël. » On objecte la difficulté de distinguer en cette matière le vrai du faux : « Et pourquoi, mon cher auditeur, de deux partis prenez-vous toujours le moins favorable, et, sur un soupçon vague, pourquoi voulez-vous que ces dehors trompent toujours parce qu’ils trompent quelquefois? » Il reconnaît que ces exemples de vraie piété sont rares; mais « il y en a jusque dans la cour. » Ici, Bourdaloue ne s’aperçoit pas qu’il parle exactement comme Molière : celui-ci, en effet, n’avait-il pas dit :
Mais les dévots de cœur sont aisés à connaître;
Notre siècle, mon frère, en expose à nos yeux
Qui peuvent nous servir d’exemples glorieux.
Regardez Ariston ; regardez Périandre,
Oronte, Alcidamas, Polydore, Clitandre.
On ne pouvait donc pas reprocher à Molière ce que Bourdaloue
condamne ici dans les libertins, à savoir de suspecter toutes les
vertus et toutes les conduites, et d’étendre à tous les chrétiens ce
qui n’est vrai que de quelques-uns. Molière ne dit même pas,
comme Bourdaloue, que de tels exemples sont rares; il ne dit pas
que, les apparences étant semblables, elles peuvent être toutes suspectes; au contraire, il sépare et tranche nettement entre la vraie
et la fausse piété, et caractérise celle-ci par des traits si visibles
qu’il faut le vouloir pour la confondre avec l’autre. Dira-t-on que,
si Molière parle ainsi, c’est par acquit de conscience, pour faire
passer le reste, pour insinuer plus facilement son venin? N’est-ce
pas le cas de répondre à Bourdaloue par ses propres paroles : Pourquoi, mon cher prédicateur, de deux partis prenez-vous le moins
favorable, et sur un soupçon vague, sans nulle preuve particulière,
pourquoi suspectez-vous les intentions ? Pourquoi ne pas prendre
les paroles dans le sens où elles sont dites, quand elles sont exprimées avec autant de clarté et de force qu’elles le sont dans le discours de Cléante? Pourquoi voir là des stratagèmes et des ruses?
Pourquoi imputer à Molière le plan machiavélique de faire une
diversion dont le libertinage pût profiter? Est-ce là de la charité
chrétienne? N’est-ce pas avoir deux poids et deux mesures? Si vous
nous suspectez, pourquoi ne voulez-vous pas que nous vous suspections? Nous sommes à deux de jeu. Mais jamais l’église ne
voudra traiter d’égal à égal avec le laïque. Jamais elle n’admettra
la parité. C’est une impiété de soupçonner l’hypocrisie dans le
dévot : c’est une œuvre pie de la dénoncer dans le comédien.