secrètes ; nous y avons touché incidemment dans les pages précédentes; mais comme la même question se reproduira au sujet de Don Juan, nous l’ajournons pour la traiter à fond après l’examen de ce second ouvrage.
Le Don Juan est l’œuvre la plus poétique de Molière : c’est même la seule où il y ait un grain de poésie, j’entends cette fleur d’imagination et de fantaisie qui manque un peu à notre théâtre, et surtout à notre théâtre comique. Est-ce une illusion de croire qu’il y a quelque chose de semblable dans le Don Juan, et ne serait-ce pas le souvenir de la musique divine que Mozart a su associer à cette fable dans notre imagination? Ne serait-ce pas aussi l’impression de la vieille légende espagnole dont Molière n’a pas amorti l’effet en la traduisant sous la forme comique et en l’assaisonnant du sel gaulois? Quelle que soit la cause de cette impression, toujours est-il que le Don Juan est animé d’un feu si rapide, d’une gaîté si audacieuse, d’une variété d’effets et de ton si peu ordinaire dans notre théâtre, d’une liberté de penser si singulière; il nous présente un caractère si nouveau et si brillant, une insolence de vice si élégante et si fière, en un mot, une peinture d’une telle couleur et d’une telle chaleur, que, malgré les Sganarelle et les Pierrot, qui font repoussoir, l’œuvre dans son ensemble n’en est pas moins poétique, comme Don Quichotte, malgré Sancho Pança.
Une telle pièce, presque improvisée, imposée à Molière par la nécessité de la concurrence, nous montre ce qu’eût pu être notre théâtre si, au lieu d’une imitation systématique des formes du théâtre antique, il se fût développé spontanément du sein de notre théâtre populaire. Personne ne peut sans doute se plaindre d’un système théâtral qui nous a donné Cinna et Athalie; mais l’imagination cependant aime à se représenter ce qui eût été si un Corneille ou un Molière, dégagés de toute obligation classique, n’eussent écouté comme Shakspeare que leur propre génie, et se fussent abandonnés à toute la liberté de l’invention. Mais peut-être est-ce là un regret injuste et vain; peut-être le génie, français ne pouvait-il arriver à toute sa perfection que dans une forme logique et régulière ; peut-être est-ce cette forme si nue et si sévère qui a obligé nos poètes à porter tous leurs efforts sur l’analyse savante des mœurs et des caractères. Quoi qu’il en soit, et tout en reconnaissant le mérite des méthodes savantes de notre théâtre, on aime à rencontrer une œuvre qui, par le hasard des circonstances,