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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/364

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ni même de dévotion dans Alceste. Il n’est nullement un solitaire de Port-Royal; il est lui-même un homme du monde ; et sa vertu, toute rigoriste qu’elle est, est la vertu mondaine par excellence, la vertu de l’honneur. S’il se retire au désert, ce n’est pas pour prier Dien, c’est pour trouver

un endroit écarté
Où d’être homme d’honneur on ait la liberté.


S’il blâme Philinte de ses procédés flatteurs et complaisans, c’est que

… tout homme d’honneur s’en doit scandaliser.


Il veut qu’on soit sincère

et qu’en homme d’honneur,
On ne lâche aucun mot qui ne parte du cœur.


C’est dans le même sens qu’il dit encore :

Je veux que l’on soit homme et qu’en toute rencontre,
Le fond de notre cœur dans nos discours se montre.


Ce qui l’indigne, c’est surtout la bassesse et la platitude :

… c’est une chose indigne, lâche, infâme
De s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme.
…………
Non, non, il n’est pas d’âme un peu bien située
Qui veuille d’une estime ainsi prostituée.


Lorsqu’il est menacé d’un duel par Oronte, il n’hésite pas un instant et ne manifeste aucun scrupule pour un acte condamné par la loi religieuse et par la loi de l’état. Lui-même, tout misanthrope qu’il est, passe sa vie dans le monde, fait la cour à une femme du monde, va même jusqu’à lui offrir sa main, après qu’il a connu toute sa légèreté. Il ne s’agit donc pas ici, quoi qu’on dise, d’une vertu surhumaine, exagérée et impraticable : il s’agit précisément de la vertu mondaine et profane, la vertu de l’honneur. C’est cette vertu elle-même, la seule que le monde reconnaisse, c’est celle-là qui lui devient à charge et qui appelle à son tour ses traits et ses railleries, lorsqu’elle se prend au sérieux et qu’elle veut être pure sévère, sans mélange. Tous les excès d’Alceste ne sont que les