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excès de l’honneur, rien de plus, et cependant le monde ne peut le supporter. Pour lui, « l’honneur n’est qu’une comédie, » et il le tourne en comédie. Mais, en définitive, qui a le dernier mot auprès de nous ? N’est-ce pas encore celui dont nous avons ri d’abord, que nous avons plaint ensuite, celui qui a été trompé, abandonné, mais dont l’âme est supérieure à tout ce qui l’entoure et qui ne souffre que de cette supériorité même ? N’appliquons donc pas ici les maximes ordinaires de la comédie : le Misanthrope, moins tragique que Tartufe, n’en est pas moins triste, car il finit tristement par le malheur du héros, puni pour avoir trop demande au monde et lui avoir présenté dans toute sa pureté la vertu qu’il adore ou qu’il feint d’adorer.

Nous pouvons donc dire, avec l’auteur de la notice, M. Paul Mesnard que le sujet du Misanthrope, c’est le monde lui-même et surtout le grand monde. Célimène, Philinte, Eliante Arsinoé, Oronte les marquis, sont tous, à des degrés divers et sous des formes différentes, les images du monde. C’est Philinte lui-même qui le dit ;

Et quand on est du monde, il faut bien que l’on rende…


Célimène, c’est le monde lui-même dans ce qu’il a de plus exquis et de plus perfide, la beauté sans la bonté, l’esprit sans le cœur, la richesse et tous les dons du dehors sans aucun des dons de l’âme ; c’est l’élégance et la grâce, le bon goût irréprochable, la diction juste, fine: perçante, la repartie implacable, la cruauté enjouée la fierté feinte : c’est la coquette idéale, usant et abusant de tous ses dons, déchirant le plus noble cœur avec une grâce homicide victime à la fin de ses ruses, mais prête à recommencer n’ayant rien à craindre tant qu’elle aura vingt ans. Philinte, c’est l’homme du monde enjoué, aimable, complaisant, cherchant à faire plaisir à tout le monde, non point égoïste, comme on l’a dit, car il a pour Alceste une vraie amitié et ne manque même pas de générosité, puisqu’il est tout prêt à lui sacrifier l’amour d’Eliante, mais n’aimant pas le bruit et les affaires, et passant par-dessus la sincérité pour sauver sa bonne humeur et son repos. Arsinoé, c’est encore la femme du monde, qui a été jeune, qui ne l’est plus ; qui a été belle, qui ne l’est plus ; qui n’est arrivée à l’austérité que par le dépit, qui envie chez les autres les succès qu’elle n’a plus, qui cherche à se venger par les traits aiguisés d’une censure hypocrite, mais qui trouve trop forte partie, car la méchanceté elle-même a besoin de glace et de jeunesse, et l’orgueil de la vie ajoute à l’esprit un éclat