Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/367

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

point surprenant que le chef-d’œuvre du théâtre comique ait eu pour objet la peinture du monde mis en regard de la générosité, de la loyauté et de l’honneur.

Notre théâtre a bien changé depuis Molière, et cependant il a toujours conservé le même caractère, au moins dans la comédie. On ne peint plus le grand monde, mais on en peint la contrefaçon et ce que l’on a appelé le demi-monde : c’est la cour d’aujourd’hui. S’il nous était permis de faire un rapprochement qui se présente à notre esprit, nous dirions que l’auteur dramatique de nos jours qui a mis le Demi-Monde sur la scène a rencontré, sans y avoir pensé sans doute, une situation analogue à celle qu’a voulu peindre Molière dans le Misanthrope. Nous ne pensons pas être coupable de profanation en faisant ressortir cette analogie. Le héros de la pièce moderne est lui-même une sorte d’Alceste, un peu trop naïf à la vérité (mais il vient d’Afrique); c’est une âme fière et même un peu farouche, c’est encore l’honneur dans toute sa délicatesse, sa rudesse, son austérité : comme Alceste, il tombe dans un monde frivole, plus que frivole; comme Alceste il aime au-dessous de lui et bien plus bas, car il ne s’agit plus d’une coquette, mais d’une courtisane. C’est une Célimène de bas étage, qui essaie de jouer la vraie. On retrouve encore dans le Demi-Monde la scène de la jalousie ; de part et d’autre, c’est une lettre compromettante qui met aux prises les deux amans; de part et d’autre, l’héroïne se joue du héros : d’un côté, en n’avouant rien; de l’autre en avouant tout. On pourrait pousser plus loin la comparaison et retrouver dans le Demi-Monde une sorte de Philinte : c’est l’homme du monde moderne, qui dévoile à son ami tous les mystères du milieu où il vit et qui essaie d’éclairer et de protéger sa sauvagerie. Il voudrait le défendre de la fausse Célimène, comme Philinte défend Alceste de la vraie. Il accepte le monde où il vit, comme Philinte accepte le sien; mais ici, ce n’est plus cet enjouement naturel et aimable d’un homme bien né, « qui prend tout doucement les hommes comme ils sont, » c’est l’ironie sarcastique et froide de l’homme désenchanté qui a vu le fond de tout et qui vit avec le vice, quoique ayant encore au fond du cœur l’amour du bien. C’est une sorte de fusion entre Alceste et Philinte. Le dénoûment des deux pièces est semblable: comme Célimène, la baronne d’Ange est démasquée, humiliée. Comme elle, elle se retire devant sa défaite; l’une sauve sa beauté, sa jeunesse, sa royauté féminine ; l’autre sauve sa fortune. Le sage de la pièce, de Jalin, épouse comme Philinte, l’Eliante de ce faux monde, la jeune Marcelle, qui a conservé des sentimens purs au sein de l’impureté; enfin le nouvel Alceste, comme l’autre, reste seul blessé au cœur, et avec bien