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formé d’un certain nombre d’entre eux. Les citoyens qui pactisaient avec la révolution furent maltraités. On foula aux pieds des cocardes tricolores arrachées au chapeau des patriotes. La vie de plusieurs habitans de la commune fut menacée; on pilla diverses maisons. Ce mouvement isolé préludait à l’exécution d’autres plans. L’armée qui devait se réunir au premier signal était destinée à marcher sur le Puy, en se fortifiant en route de tous les mécontens. Le soulèvement devait s’effectuer dans la nuit du 8 au 9 juillet.

En vue de cette prise d’armes, le comte de Saillans, dès le premier jour de ce mois, envoyait de Saint-André-de-Cruzières, où il avait établi son quartier-général, des instructions et des ordres. A l’exception du château de Bannes, où, comme on l’a vu, le directoire de l’Ardèche entretenait une petite garnison, toute la vallée était en son pouvoir. Dans les auberges, les royalistes s’assemblaient tous les jours pour délibérer. A la porte des églises, ils affichaient nuitamment des proclamations incendiaires. Quelques-uns poussaient l’audace jusqu’à contraindre les curés constitutionnels à les lire en chaire. Ces proclamations signées du comte de Saillans, « chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, lieutenant-colonel commandant des chasseurs du Roussillon, gentilhomme de la chambre de Monsieur, commandant en second, au nom de Monsieur et Monseigneur comte d’Artois, dans le bas Languedoc, Vivarais, Velay et Gévaudan, » étaient conçues en termes choisis pour frapper les imaginations naïves, pour faire croire aux paysans que la révolution touchait à sa fin et que l’ancien régime allait revivre. Les royalistes ne prenaient presque plus la peine de cacher leurs projets. Ils circulaient librement, enjoignant aux habitans des communes qu’ils traversaient de s’armer pour la bonne cause, prédisaient de terribles vengeances aux hésitans et aux tièdes, leur envoyaient des lettres anonymes pour les menacer du pillage prochain de leur maison, se faisaient héberger chez l’habitant et obligeaient partout le percepteur des impositions à verser entre leurs mains le contenu de sa caisse.

Pour appuyer ce recrutement forcé, les curés réfractaires refusaient d’entendre en confession ceux qui ne voulaient pas partir. Ils excitaient les catholiques à verser le sang des patriotes, à ravager leurs propriétés.

— Cette fois, ça ira, murmuraient-ils ; ceux qui rient aujourd’hui pleureront bientôt. A bas les patriotes! ajoutaient-ils; vous ne répéterez plus : « Vive la nation! » Si les protestans égorgent les catholiques, nous vous égorgerons aussi. »

Ils tenaient ces propos aux gendarmes eux-mêmes, essayaient de les détourner de leur devoir, leur faisaient honte de leur costume