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lequel étaient relevés à sa charge des faits d’enrôlemens, de pillage et d’assassinats. Un des griefs était ainsi formulé : « Il a fait la contrebande avec Dominique Allier et gardé la maîtresse de ce dernier, fille des pays étrangers. »

Cette brève allusion à une aventure d’amour, sur laquelle il nous a été impossible de faire la lumière, est la seule de ce genre que nous ayons trouvée dans les nombreuses pièces à l’aide desquelles nous avons reconstitué ces tragiques événemens. La femme est absente des conspirations du Vivarais, et M. de Lamartine n’a écrit qu’un roman, lorsque étudiant l’histoire, non à travers les documens contemporains, mais à travers son imagination, il parle « de jeunes filles à cheval, vêtues et armées en amazones, parcourant les rangs, distribuant les signes de la révolte, et, les cœurs de Jésus sur la poitrine, les croix d’or au chapeau, réveillant, au nom de l’amour, l’héroïsme de l’ancienne chevalerie. » La vérité n’avait pas besoin de cette poétique mise en scène. Nous l’avons rétablie d’une manière irréfragable.

L’affaire de Saillans est la plus importante des conspirations royalistes du Midi. Conduite par des hommes moins légers que les émigrés, plus circonspects et plus prudens que les chefs qui la dirigèrent, elle pouvait réussir. Si elle avait réussi, elle aurait jeté sur Paris, à l’heure où la Vendée se soulevait, où les frontières s’ouvraient à l’invasion, une formidable armée royaliste, qui eut non pas rétabli l’ancien régime, mais changé le cours de la révolution. Les maîtres du moment le comprirent quand éclata à leurs yeux le danger qu’ils avaient couru. Aussi s’appliquèrent-ils à en conjurer le retour.

Convaincus que l’esprit royaliste n’était pas mort dans le Midi en même temps que le comte de Saillans, ils engagèrent la lutte contre lui par la terreur. Ils ne purent empêcher cependant son fréquent réveil. Après l’avoir successivement combattu à Arles, à Jalès, à Mende, à Lyon, après avoir employé, pour le refréner, les armes les plus meurtrières, ils étaient obligés de s’avouer qu’ils n’en pouvaient venir à bout. « Le complot subsiste encore dans sa presque totalité, écrivait l’un d’eux, à la fin de 1792. » Il ne se trompait pas. L’émigration espérait encore et entretenait l’agitation dans le Midi. Aux confins de la Lozère et de l’Aveyron, dans un village perdu au milieu des montagnes d’Aubrac, un ardent royaliste, un combattant des luttes passées, le notaire Charrier, recommençait à prêcher la révolte et préparait une nouvelle tentative en faveur de la royauté agonisante.


ERNEST DAUDET.