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tout châtiment les blâmes isolés qu’on vient de lire, le personnage qui avait arrêté le comte de Saillans fugitif et n’avait pas su protéger sa vie, était admis, en passant à Mende, aux honneurs de la séance du conseil général. Deux bataillons marseillais se trouvaient alors dans cette ville. On redoutait, à cette occasion, des excès de leur part. Mais ces craintes ne furent pas justifiées; tout se borna à un banquet et à des illuminations. L’assemblée nationale célébrait à son tour et à sa façon la victoire remportée sur les royalistes. Ignorant encore que les châteaux de Jalès et de Bannes avaient été brûlés, elle en ordonnait la destruction. Elle votait à Hyacinthe Laurent une récompense de 3,000 livres. Enfin, le 20 juillet, confirmant un arrêté du directoire de l’Ardèche, elle décrétait d’accusation cinquante-sept personnes ayant pris part au complot de Jalès.

Sur cette liste figuraient entre autres le comte de Connway, qui n’était pas entré en France, l’abbé La Bastide de la Molette et le capitaine Terron, de la garde nationale des Vans, qui avaient déjà péri, l’abbé Crégut, Louis Pellet, l’abbé Boissin, d’autres encore qui, lorsque le décret arriva dans l’Ardèche, avaient aussi payé de leur vie, dans des circonstances ignorées, leur participation à la prise d’armes de Jalès.

C’était le règne des exécutions sans jugement. Elles se continuèrent longtemps encore. Les municipalités suspectes furent suspendues; les administrateurs du district du Tanargue, dont faisait partie la vallée de Jalès, accusés de complicité avec les conspirateurs, furent remplacés. L’un d’eux, le procureur syndic, M. de Bournet, inaugura, en y portant sa tête, l’échafaud dressé quelques mois plus tard dans l’Ardèche ; deux gentilshommes du pays, MM. de Brès et de la Vernède, furent fusillés. On dit que ce dernier vit creuser sa fosse et fut enterré vivant. Les ruines de Saint-André-de-Cruzières, condamnées à perdre le nom sous lequel ce village était désigné, prirent celui de Claisse. Après les grands coupables, on poursuivit les petits. Les prisons de l’Ardèche étaient pleines de pauvres gens qui se défendaient en déclarant qu’on les avait forcés à marcher. On ouvrait à la poste les lettres suspectes, et neuf mois après ces tragiques événemens, on procédait encore à des arrestations.

C’est ainsi qu’en avril 1793 un sieur Charousset se laissait surprendre dans une auberge de Bollene, département de Vaucluse, et était bientôt reconnu comme un des principaux complices du comte de Saillans. « On aura des preuves pour le faire guillotiner, » écrivait à son sujet le directoire de l’Ardèche. Conduit à Privas, il voyait se dresser contre lui un acte d’accusation redoutable, dans