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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/43

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élisaient leurs magistrats, par quels services ou quelles promesses on arrivait chez eux à obtenir les suffrages de la foule, quels abus, quels périls étaient nés de ces compétitions ardentes et comment ils avaient cherché à s’en garantir? C’est une étude pleine d’intérêt et qui ne sera peut-être pas sans quelque profit[1]. Qu’il nous soit permis de la refaire à la suite de M. Gentile et des savans dont son livre résume les travaux.


I.

Remontons d’abord à quelques généralités qui sont connues à peu près de tout le monde, mais qu’il faut néanmoins redire pour que le reste soit mieux compris.

D’après Cicéron, la constitution romaine ne fut pas la création d’un homme ni l’œuvre d’un jour. C’est le temps qui l’a faite. Elle est sortie de la lutte d’élémens contraires qui, ne pouvant se détruire, ont fini de quelque façon par s’accorder. Mais quoiqu’elle soit un compromis entre des forces diverses, elle ne manque pourtant pas d’unité, parce qu’une de ces forces a toujours dominé les autres et donne son caractère à l’ensemble. Dans tous les temps, sous tous les régimes, l’aristocratie n’a jamais cessé d’être la véritable maîtresse de Rome. Pendant cette longue domination, elle a mis son empreinte à tout, elle a façonné à son gré les mœurs, les institutions, les idées. Après avoir gouverné d’abord ouvertement la république par une législation qu’elle avait faite et qui lui était tout à fait favorable, plus tard, quand les lois lai sont devenues contraires, elle l’a gouvernée encore par son influence et son autorité, que jusqu’à la fin le peuple a patiemment subies. On dit souvent que l’empire est une revanche de la plèbe, qui s’est donné un maître pour avoir raison d’un ennemi, et on le présente comme une sorte de régime démocratique : cette opinion n’est vraie qu’en partie. Il est certain que l’empire s’est établi par l’appui de la plèbe; mais, une fois le gouvernement nouveau constitué et reconnu de tout le monde, l’état, par sa pente naturelle, est revenu très vite vers l’aristocratie. Dès le règne de Tibère, le droit de suffrage était enlevé au peuple et maintenu au sénat. A partir de ce moment, la

  1. Le conseil supérieur de l’instruction publique a décidé, dans sa dernière session, qu’on demanderait désormais aux candidats à la licence ès-lettres de connaître les institutions de Rome et d’Athènes. Il est sûr que, si on les ignore, on ne peut pas comprendre à fond les auteurs anciens et rendre leurs récits vivans pour les élèves. Un professeur qui ne saurait pas de quelle manière se faisaient les élections à Rome serait incapable d’intéresser ceux qui l’écoutent à certains discours de Cicéron et à certaines narrations de Tite-Live.