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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/473

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comme une rose et d’Adieu les amoureux ! d’un singulier mélange de prétention et de vulgarité. Non qu’il n’y ait des pages charmantes, quelques descriptions d’une fraîcheur tout anglaise, et quelques bouts de dialogue d’un accent vif, net et juste. Mais il est trop évident que miss Rhoda Broughton se travaille à dire de bons mots et qu’elle n’y réussit pas toujours. Écrire que le « salon du matin, à Felton, est ainsi nommé parce qu’on s’y tient le soir, » cela passerait en France pour une plaisanterie de petit journal, et je ne pense pas que ce soit beaucoup meilleur, ni d’un goût beaucoup plus fin en Angleterre. Ou bien encore, dire que « le train rapide qui emporte Esther vers une nouvelle existence est saupoudré comme certains gâteaux, » j’ai peine à me figurer que ce soit en aucune langue une façon bien simple ou bien piquante de signifier qu’il neige. Il me paraît, d’ailleurs, à ces signes, qu’on en est en Angleterre où nous en sommes nous-mêmes. Nous aussi nous, écrivons de ce style à la fois précieux et brutal, entortillant de périphrases les choses les plus simples, comme de mauvais imitateurs de Marivaux, et de ci, de là, laissant s’échapper quelque mot vulgaire, emprunté de l’argot de la rue ou de l’atelier, qui fait bien le plus étrange effet. Mais le sujet est de ceux qui demanderaient un volume.

Contentons-nous donc de dire, qu’en dépit de toutes ces critiques les romans de miss Rhoda Broughton sont certainement à lire. Adieu les amoureux! et Fraîche comme une rose, incontestablement, sont des œuvres fort honorables. Irons-nous d’ailleurs jusqu’à soutenir, pour expliquer l’estime assez modérée qu’il semble que l’on en fasse en Angleterre, ce paradoxe, après tout fort soutenable, que les compatriotes d’un écrivain vivant n’en sont pas toujours les meilleurs juges, ni surtout les juges sans appel? Il faudrait pour cela qu’indépendamment des qualités de forme qu’on leur dispute, ces romans eussent une profondeur d’originalité qu’ils n’ont véritablement pas. Ce sont d’agréables récits, et voilà tout. Il est d’ailleurs un moyen de concilier les éloges dont les romans de miss Broughton nous paraissent dignes et les critiques dont ils ont été l’objet en Angleterre : c’est de faire la part très large au bon goût, au tact, et à l’habileté de sa traductrice. Et, de fait, rien ne sera plus juste.


F. BRUNETIERE