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quoiqu’elles aient fonctionné jusqu’à l’empire. Tout ce qu’on peut dire avec assurance, c’est qu’il se fit une sorte de compromis entre les deux systèmes contraires des tribus et des classes, et que, quoique venus d’origines très différentes et représentant des idées politiques opposées, ils trouvèrent quelque moyen de s’unir. Voici comment M. Mommsen suppose que ce mélange se fit. La tribu devint la base de la façon nouvelle de voter, ce qui était contraire à l’ancienne législation de Servius; seulement il fut entendu que, dans chaque tribu, les citoyens seraient divisés en cinq classes, d’après leur fortune; mais chaque classe ne formait plus que deux centuries, l’une des plus jeunes, juniores, et l’autre des plus anciens, seniores. Par là se trouvait supprimée la grande injustice de l’ancienne constitution, qui accordait plus de centuries, c’est-à-dire plus de suffrages, aux classes les plus riches et les moins nombreuses. Elles en avaient toutes deux, ce qui faisait dix centuries par tribu et trois cent cinquante pour les trente-cinq tribus réunies. En y joignant les dix-huit centuries de chevaliers qui furent conservées, et celles d’ouvriers dont il vient d’être question, on arrive à un total de trois cent soixante -treize votes. Pour obtenir la majorité absolue, il fallait, dans tous les cas, dépasser la troisième classe, et, pour peu qu’il y eût quelque désaccord entre les riches et les nobles, on n’arrivait à un résultat qu’en faisant voter tout le monde. Ce système ingénieux, qui plaît beaucoup à Cicéron[1], conserve encore une sorte de prépondérance à la naissance et à la fortune; mais il n’étouffe pas tout à fait la majorité et lui permet de l’emporter, quand elle est sérieuse et compacte. Il a duré jusqu’à l’empire, et il est probable qu’il existait déjà vers le temps de la seconde guerre punique, quand le peuple parvint à faire nommer consuls Flaminius et Varron, détestés des nobles.

Il y avait donc à Rome, à la fin de la république, trois assemblées politiques fonctionnant ensemble. D’abord la plus ancienne, celle des curies, qui remontait aux premiers jours de la cité. Quoiqu’elle n’eût plus aucune espèce d’importance, on l’avait religieusement conservée : — c’était l’habitude des Romains de ne jamais rien détruire. — Les nobles, pour lesquels elle avait été faite, n’y venaient plus : ce n’était qu’une sorte de formalité, vénérable par son âge, mais à laquelle on ne faisait plus aucune attention, et où trente licteurs représentaient les trente curies absentes. Les deux

  1. Cicéron fait très finement remarquer que, lorsqu’on est réuni aux gens de son âge, de son rang, on se permet moins d’incartades que lorsqu’on est confondu pêle-mêle avec tous les gens de son quartier. Descriptus populus censu, ordinibus, œtatibus, plus adhibet ad suffragium consitii quam fuse in tribus convocatus. (De Leg., III, 19.) Tous les gens sages préféraient les assemblées des centuries à celles des tribus.