Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

assemblées vraiment souveraines, entre lesquelles se partageait l’autorité, étaient celle des centuries et celle des tribus, l’une plus favorable à l’aristocratie, l’autre plus populaire. L’assemblée des tribus était devenue avec le temps très puissante : pour me borner à sa compétence électorale, elle élisait les tribuns du peuple, les édiles plébéiens et curules, les questeurs, le grand-pontife et les prêtres; mais l’élection des consuls était restée à l’assemblée des centuries, et c’était l’affaire la plus grave dans la vie politique de la cité.

A prendre les choses par les dehors et sans y regarder de trop près, il semble que voilà un gouvernement véritablement populaire. Tous les citoyens sont électeurs et éligibles , ils nomment tous leurs magistrats à tous les degrés, ils acceptent ou refusent les lois : qu’y a-t-il de plus dans les pays où le peuple est maître absolu des affaires? C’est ce que pensaient les gens de 1789 et de 1793, qui regardaient la république romaine comme l’idéal d’un état démocratique. Mais si l’on observe avec plus de soin, si l’on pénètre dans les détails de cette constitution volontairement compliquée, on s’aperçoit que le parti conservateur a pris ses précautions pour brider la démocratie, et que, par exemple, la liberté de voter est loin d’être aussi complète qu’elle le paraît.

Cicéron affirme plusieurs fois que les électeurs votent par tête, viritim, ce qui semble dire qu’ils prenaient tous une part égalera l’élection. Mais ce n’est qu’une apparence : en réalité, le vote n’est pas vraiment individuel, et les suffrages des citoyens n’ont jamais la même valeur. Sans doute, on vote par tête dans sa centurie; seulement, la centurie n’ayant qu’un suffrage, quel que soit le nombre de ceux qui la composent, la voix d’un citoyen se trouve avoir bien plus d’importance dans la première classe qui ne renferme que quelques riches, que dans la dernière, où l’on a entassé la foule des misérables. Celui-là est nommé consul pour qui la majorité des centuries s’est déclarée; mais la majorité des centuries ne représente pas la majorité des citoyens, et M. Gentile montre, par des calculs ingénieux, que très souvent le consul ne devait être que l’élu de la minorité[1]. Ces inégalités se retrouvent jusque dans l’assemblée populaire des tribus; elles aussi se composent d’un nombre de citoyens très variable. Nous venons de voir qu’il y en a trente-une pour la banlieue et quatre seulement pour la ville: or, tous les jours la ville s’augmente d’habitans nouveaux; mais elle a

  1. Ne nous scandalisons pas trop vite de ces injustices. Ne voit-on pas, aujourd’hui même, que, par exemple, dans certaines élections municipales, grâce à des sectionnemens habiles, c’est la liste du puni le moins nombreux qui l’emporte quelquefois sur l’autre?