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m’offre. J’ai à Versailles des parens d’un grand âge, je désire les voir et accepter leur hospitalité. »

Le chancelier se redressa; d’un geste il dérangea le parement jaune de sa tunique, et avec toute la hauteur dont il peut être capable : « Très-bien ! très-bien, dit-il, comme vous voudrez. » Je sortis. Au moins, je n’avais ni la douleur ni la honte de subir le festin de l’ennemi! Qu’importait mon refus au succès des négociations? les Prussiens ne pouvaient même s’en étonner.

Le comte de Bismarck, qu’on me dit plus tard être le fils du chancelier, me fit monter dans une voiture découverte et me conduisit rapidement devant l’une des maisons de l’avenue de Saint-Cloud, voisine du lycée. Sur son invitation, je montai au premier étage, et il m’introduisit dans un salon où m’attendait le général Stock, en costume civil. Après une présentation cérémonieuse, M. le comte de Bismarck me demanda en souriant la permission de se retirer; u il me laissait la voiture ; la conférence devait sans doute se prolonger. »

Le général Stock, dont les manières furent des plus gracieuses, semblait décidé à tout entendre et à ne rien dire. J’étais de mon côté fort résolu à ne rien compromettre. J’abordai, par le droit de ravitaillement, et les mesures à prendre pour l’assurer l’examen curieux que je devais subir. Je dis que le chancelier m’adressait au général sur le sujet des questions d’approvisionnemens: le rationnement du pain à Paris devait cesser avec l’armistice; en attendant l’entrée des convois que l’état des voies ferrées pouvait retarder, il semblait aux ministres négociateurs que l’intendance prussienne avait les ressources nécessaires pour céder des farines à l’administration parisienne; celle-ci avait le devoir de ne pas laisser diminuer ses provisions durant les pourparlers pacifiques; c’était la convention même de l’armistice que le droit de ravitaillement.

Le général Stock me déclara d’abord qu’il n’avait pas de farine; qu’il n’en pouvait disposer sous aucun prétexte; puis, comme se ravisant, il me demanda la permission de vérifier de suite la quantité à sa disposition; après avoir donné des ordres, envoyé des messagers, examiné des notes, et longuement étudié des écritures, il m’offrit enfin, à Corbeil et à Juvisy, la livraison de 15,000 à 20,000 quintaux de farine, moitié seigle, moitié froment.

Le prix devenait une question. M. de Bismarck devait dire plus tard à Favre : « Il ne faut pas qu’on vous Juive. » Je déclarai au général Stock que je n’avais aucun élément nécessaire pour apprécier la valeur des farines; je ne pouvais ni débattre, ni surtout accepter ou fixer un prix. Le ministre du commerce, pour cette question spéciale, enverrait promptement un délégué, s’il ne se