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avec le chancelier. Votre gouvernement les connaîtra : dès demain, nous vous dénonçons l’armistice. Le chancelier est chez le roi pour ce sujet. »

Je répliquai que le gouvernement ne savait rien des publications attribuées à M. Gambetta; il était impossible de fonder une rupture d’armistice sur une entente imaginaire contre l’armistice. Au surplus, je n’avais ni la qualité, ni la volonté pour entendre et subir des communications aussi étranges; j’étais venu pour réclamer l’exécution loyale des conventions formelles et de leurs conséquences. Je demandai donc à être entendu.

Mon attitude convaincue sembla faire naître un doute dans la pensée persistante de mon interlocuteur, qui m’offrit alors de rédiger un «protocole. » J’acceptai cette proposition; à la hâte, j’écrivis la réclamation qui m’avait conduit à Versailles, et je la laissai aux mains de la chancellerie de la rue de Provence.

La voiture nous remportait rapidement vers Sèvres, mais à la sortie de Chaville, son propriétaire, entouré de ses officiers, nous arrêta d’un geste en s’excusant d’être dans la nécessité de reprendre son bien. Il fallut descendre et continuer à pied la route jusqu’au corps de garde du parc de Saint-Cloud, où nous fûmes introduits. Le commandant du poste en fit les honneurs pendant l’attente des ordres nécessaires pour appeler la barque et nous remettre aux marins français. On nous offrit pour sièges les riches et commodes fauteuils enlevés aux châteaux du voisinage ; ce mobilier garnissait le logis enfumé et infect des soldats allemands. Un de leurs sergens nous demandait avec sollicitude si l’on pouvait compter sur la paix et laissait voir la gaîté que lui donnait l’espérance du retour au pays : il nous suivit jusqu’au bateau en répétant que tous seraient bien heureux si la guerre était finie.

M. d’Armaillé et moi, nous étions rentrés sur la rive droite ; notre conversation était triste et pleine des préoccupations que la conduite du gouvernement de Bordeaux imposait fatalement à l’esprit. Si l’armistice était dénoncé, Paris, sans pain, était livré aux horreurs de la guerre des rues, aux dangers de l’anéantissement. Le gouvernement devait agir: — agirait-il?

Je courus porter au ministre des affaires étrangères la nouvelle menaçante que j’avais reçue, et peu d’heures après, une dépêche officielle de M. de Bismarck la confirmait avec plus de formes. Aussitôt les dispositions furent prises pour paralyser les sourdes et dangereuses résistances de la fraction du gouvernement établi hors de Paris. Je n’ai point à dire le départ de M. Jules Simon pour Bordeaux, ses ordres secrets, non plus que l’organisation d’une section de police qu’il m’avait demandée et qui l’accompagna pour le servir dans sa mission. Après un court séjour dans cette ville, les agens