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étage était en marbre, le second en verre ; il était orné de trois cent soixante colonnes, dont quelques-unes avaient trente-huit pieds de haut, avec trois mille statues dans les intervalles. Partout s’étalaient des objets précieux, des tableaux et des tapis d’Orient. Cette coûteuse merveille n’était pourtant faite que pour durer quelques jours; les jeux achevés, le théâtre fut démoli, et l’on en transporta les restes dans une villa de Tusculum, où plus tard les esclaves mirent le feu. On calcula que la perte, dans cet incendie, dépassait 100 millions de sesterces (20 millions de francs). Qu’on juge ce qu’avait dû coûter le théâtre, quand il était entier ! Il était difficile de faire mieux que Scaurus ; Curion voulut au moins faire autrement. Il imagina de bâtir deux grands théâtres en bois, voisins l’un de l’autre et qui tournaient sur des pivots. Le matin, on jouait dans chacun d’eux le drame et la comédie; ils étaient alors adossés et disposés de façon que les spectateurs ne pouvaient pas se voir ni les acteurs s’entendre. Le soir, à un signal donné et sans que personne quittât sa place, les deux lourdes machines tournaient tout d’un coup sur leurs gonds et se trouvaient face à face. Les planches du fond disparaissaient, les angles étaient réunis et les deux théâtres rapprochés formaient un amphithéâtre immense où l’on lâchait les gladiateurs et les bêtes. Voilà par quelles prodigalités effrayantes on cherchait à gagner la bienveillance du peuple et l’on travaillait à devenir édile et préteur pour être plus tard consul.

Le temps passe cependant, et le moment solennel avance. Chaque pas qu’on fait rapproche du but; quand on est préteur, on y touche. La préture n’est séparée du consulat que par les deux années d’intervalle que la loi met entre toutes les fonctions publiques. Ces deux ans, succédant à de longues fatigues, ne sont pas un temps de repos ; au contraire, le moment est venu « de tendre plus que jamais son esprit et de préparer toutes ses forces : contendere omnibus nervis et facultatibus. » Si l’on veut réussir, on n’a plus une heure à perdre. Le jour même où le préteur quitte sa charge, la candidature consulaire commence.

C’est ici que le livre de Quintus va surtout nous servir. Supposons notre candidat placé dans la situation même de Cicéron. C’est un « homme nouveau, » c’est-à-dire le premier de sa famille qui arrive aux grandes dignités de l’état. Le succès est plus difficile pour lui que pour les autres. Cicéron dit quelque part des grands seigneurs « que les honneurs leur arrivent en dormant. » Il est sûr qu’ils ont moins de peine à se donner pour les obtenir ; leurs ancêtres ont travaillé pour eux, et le consulat semble faire partie de leur héritage. On comprend donc qu’ils n’aiment pas à voir ce domaine, qui leur appartient, envahi par des étrangers et qu’ils