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influence dans leur tribu et pouvaient à l’occasion être utiles ! Pour tous ces grands personnages, qu’on avait tirés de méchantes affaires, c’était un devoir impérieux de vous prouver leur reconnaissance en favorisant de toutes leurs forces votre élection. Pourtant Quintus, qui connaît les hommes, et qui compte moins sur la reconnaissance que sur l’intérêt, croit que, si le candidat fait bien de s’adresser à ceux auxquels il a rendu des services, il fera mieux de se fier surtout à ceux qui attendent quelque service de lui. C’est un de ses principes que nous n’avons pas d’amis plus zélés et plus sûrs que les gens qui ont besoin de nous : Quod genus hominum multo etiam est diligentius atque officiosius. Pour en augmenter le nombre, dit Quintus, vous avez un moyen bien simple : quoi qu’on vous demande, promettez toujours. Mais est-il loyal de promettre plus qu’on ne peut tenir? Un avocat occupé, comme Cicéron, doit-il se charger de causes qu’évidemment il ne pourra jamais défendre? Quintus paraît ici embarrassé de répondre; il n’ose exprimer sa propre pensée de peur de révolter un platonicien comme son frère. Il va chercher Aurelius Cotta, cet artiste, ce maître dans l’art de bien mener une candidature, in ambitione artifex, et le fait parler. Cotta, sur ce point délicat, n’hésite pas; il est d’avis qu’un candidat qui sait son métier ne doit jamais rien refuser à personne, et voici les raisons qu’il donne de son opinion : « Vous ne voulez pas accepter une cause parce que vous croyez que vous ne pourrez pas la plaider; mais qui sait si l’affaire ne s’arrangera pas avant de venir à l’audience? Etes-vous sûr d’ailleurs que, par quelque événement imprévu, vous ne vous trouverez pas plus libre que vous ne croyez l’être? Enfin, ce qui peut vous arriver de pis, c’est qu’au dernier moment, le client que vous avez trompé se fâche contre vous; mais ne se serait -il pas fâché si vous aviez tout d’abord refusé de le défendre? La grande affaire est de gagner du temps et d’acquérir, en promettant toujours, une réputation si bien établie d’obligeance que les réclamations de quelques mécontens ne puissent plus l’entamer. »

Voilà le corps d’armée dont un candidat dispose, quelques amis sincères, beaucoup de gens qu’il a obligés, plus encore qui comptent sur son obligeance. Pour se servir convenablement de chacun d’eux, il doit d’abord chercher à les bien connaître. — Le candidat est tenu d’être un moraliste; il faut qu’il lise dans le cœur de ses partisans, qu’il démêle leurs intentions secrètes, qu’il devine leurs sentimens les plus cachés. — Il s’en trouve parmi eux de plus zélés et de plus tièdes, de plus sûrs et de plus légers; il y en a même qui sont prêts à vous abandonner, s’ils peuvent en tirer quelque avantage. Tenez-vous sur vos gardes, dit Quintus ; soyez