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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/592

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différentes versions, qu’il est impossible de les concilier et qu’il fait sacrifier Tune à l’autre. Le fameux Examen critique de la vie de Jésus, par Strauss, est rempli par la discussion de ces divergences, poursuivies jusque dans le moindre détail, de manière que pas une phrase ne subsiste inattaquable. L’effet de cette discussion a été terrible, et l’orthodoxie en est demeurée absolument déconcertée. Je ne connais en effet qu’un moyen, pour les croyans, de se dérober à cette impression, c’est de ne pas lire le livre : il n’est pas possible d’y répondre sérieusement point par point.

Si au contraire on se met en dehors de l’orthodoxie, cette critique perd de son importance, puisqu’il n’y a rien de plus ordinaire que des variations et des contradictions dans des récits humains. Cependant elles sont ici à la fois tellement marquées et tellement multipliées, que les doutes qu’elles soulèvent vont au-delà de ceux que la plupart des histoires suggèrent. Nous avons ainsi l’impression, non plus que la vérité primitive a été altérée, mais que le plus souvent il manque au récit un fond de vérité primitive et que l’imagination a tout fait.

Enfin aucun de ces livres ne présente les caractères d’un récit suivi. Ce sont des scènes détachées, qui ne tiennent les unes aux autres par aucun lien ; on s’y propose d’édifier le lecteur, nullement de le renseigner. Les indications chronologiques y sont en très petit nombre, et nullement sûres. À l’exception des noms de douze, rien n’est plus rare qu’un nom propre dans ces récits et c’est assez pour montrer combien ils ressemblent peu à de l’histoire. Jésus les traverse comme une apparition plutôt qu’il n’y figure comme vin homme réel qui a des amis et des ennemis des maîtres, des camarades, des projets et des aventures. Il a prêché une fois ; une autre fois il a guéri ; il a fait une autre fois l’un et l’autre, sans qu’on nous marque le plus souvent ni quand ni où. Voilà à peu près tout ce qu’on nous dit : ce n’est pas là une histoire[1].

il existe, il est vrai, des Lettres de Paul, notablement plus anciennes que les Évangiles et plus voisines de Jésus. Mais ces quatre courts morceaux, car il n’y en a pas davantage qui soient authentiques[2], et ce sont les seuls écrits authentiques du Nouveau-Testament, ne nous apprennent rien sur le maître que Paul n’avait pas connu. Aussi demeure-t-on bien étonné, quand on a étudié le Nouveau-Testament pour s’éclairer sur la personne de Jésus,

  1. La formule « en ce temps-là, » qui revient trois fois dans Matthieu, a servi à l’église pour faire un début à tous les fragmens détachés des Évangiles qu’elle lit dans ses offices. C’est à peu près toute la chronologie qui s’y trouve.
  2. On verra plus tard que les seules véritables lettres de Paul sont les Epitres aux Galates, aux Corinthiens (I et II) et aux Roumains.