Au contraire, aux yeux de l’autorité romaine, toute la prédication de Jésus était coupable. Annoncer « que les temps étaient accomplis et que le règne de Dieu approchait, » c’était, en langage Juif, annoncer la chute de la domination romaine, l’affranchissement et la restauration d’Israël par celui que Jésus appelait « le Fils de l’homme. » Quels sentimens entretenait-on ainsi dans l’âme des peuples à l’égard d’un gouvernement condamné d’en haut et prêt à s’évanouir ? Les évangiles, au milieu de leur réserve, laissent échapper des mots graves. Dans le troisième, les Juifs reprochent explicitement à Jésus de « détourner la nation et de l’empêcher de payer le tribut à César. » (XVIII, 2.) Le plus ancien évangile, s’il n’en dit pas tant, laisse voir néanmoins que Jésus était suspect de ce côté-là, puisqu’il suppose que l’on croit l’embarrasser en le forçant de répondre en public dans Jérusalem à cette question : « Est-il permis de payer le tribut à César ? » (XII, 14.) La multitude s’ameutait autour de lui. Sans accepter comme historique le récit de l’entrée à Jérusalem, où l’imagination s’est trop mise à l’aise, on peut croire cependant que la troupe des hommes de Galilée qui entrèrent avec Jésus dans la ville sainte pour y célébrer la Pâque fit quelque démonstration inquiétante, et qu’on y entendit des paroles comme celles-ci : « Béni soit le règne qui va venir, celui de David notre père! » (XI, 10.)
La Galilée était un pays suspect : sous Pilatus précisément, nous savons (sans en savoir davantage), que des Galiléens avaient été massacrés dans le Temple même par ordre du procurateur, « qui avait mêlé leur sang au sang de leurs sacrifices. » Luc, XIII, 1.)
Dans le récit même qu’on nous fait de la Passion de Jésus, on entrevoit des scènes de désordre. On nous dit que ses compagnons coupent une oreille à un de ceux qui l’arrêtent. Un jeune homme, qu’on va arrêter avec lui échappe à ceux qui croyaient le tenir en leur laissant l’unique vêtement dont il est couvert, et s’enfuit tout nu. On remarquera enfin que ce Barabbas que le peuple fait mettre en liberté à l’occasion de la fête, est signalé comme ayant pris part à un mouvement populaire où il y avait eu mort d’homme. Le seul rapprochement du nom de Barabbas et de celui de Jésus semble bien indiquer que tous deux avaient à répondre devant la même justice de faits du même ordre. Noterai-je encore ce trait singulier du quatrième évangile, où Jésus, à un certain moment, se dérobe dans la montagne parce que la foule voulait se saisir de lui pour le faire roi? (VI, 15.)
Il est donc infiniment vraisemblable que Jésus n’a pas été jugé par le synédrion juif, ni condamné pour crime religieux ou blasphème, mais qu’il a été mis en croix comme perturbateur public,