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par la sentence du procurateur romain, à qui les grands-prêtres m’avaient livré; et ainsi demeurent infirmés les récits des Évangiles[1].

En terminant cette discussion, je hasarderai de dire que la conclusion où elle aboutit aide peut-être à résoudre une difficulté qui embarrasse tout le monde, celle du silence que deux historiens juifs, Josèphe et Justus, ont gardé sur Jésus. Si Jésus est un sectaire qui a voulu faire une révolution religieuse, et si c’est la nation elle-même qui l’a jugé et condamné pour avoir attenté à la loi, sa révolte et son supplice devaient être alors pour les historiens du judaïsme des faits considérables, qu’ils ne pouvaient passer sous silence. Si au contraire Jésus n’est qu’un Juif ardent jusqu’au fanatisme, un Galiléen exalté, qui a enflammé les hommes de son pays et agité même à la fin Jérusalem, de sorte que les autorités juives qu’il compromettait l’ont livré à la police romaine et que celle-ci l’a mis à mort ; dans ce cas, Josèphe et Justus pouvaient ne pas se soucier beaucoup de parler d’un homme, d’ailleurs peu considérable, qui avait été un embarras pour les Juifs, et de qui était sorti si inopinément après sa mort un autre embarras plus grand, je veux dire le christianisme.


V.

Maintenant, Jésus a-t-il renié et réprouvé le judaïsme? Il faut répondre oui si on accepte le témoignage des Évangiles. Déjà le plus ancien met dans la bouche de Jésus cette parabole de la vigne dont le sens est si transparent. Les vignerons ont tué tous les serviteurs que le maître leur a envoyés pour recevoir le produit de sa vigne; ils tuent enfin le fils même du maître. Alors celui-ci vient en personne, extermine ces vignerons infidèles et donne sa vigne à d’autres, (XII, 1-9.) Une autre parabole, qui se réduit à une image, dit que la pierre rejetée par ceux qui bâtissent va devenir la pierre du coin (XII, 10); c’est-à-dire que le christianisme va se substituer au judaïsme. Les Évangiles qui suivent développent de plus en plus ces idées. Une parabole célèbre de Matthieu nous montre les ouvriers de la dernière heure traités aussi bien que ceux qui ont travaillé dès le matin (IX, 1), c’est-à-dire les Juifs perdant tout privilège et n’ayant plus rien par dessus les gentils.

Plus loin on trouve celle du festin de noce préparé par un roi, où les invités ne sont pas venus (ce sont les Juifs), et où les tables

  1. Ce que je dis des Évangiles s’applique également à deux versets du livre des Actes où la tradition des Évangiles a été suivie, (XIII, 27-28.)