quelques paroles caressantes. Si le personnage en vaut la peine, il faut qu’il n’épargne ni protestations ni flatteries. L’orateur Crassus avouait que, toutes les fois qu’il parcourait ainsi la foule, il ne reculait devant aucun des moyens qui pouvaient lui gagner quelques vois de plus ; seulement il avait soin d’éloigner son beau-père, le grave Scævola, pour n’avoir pas à rougir devant lui des mensonges qu’il était obligé de faire[1]. — Il faut surtout que le candidat sache d’une manière imperturbable le nom de celui auquel il s’adresse. Il n’y a rien qui flatte tant les électeurs que d’être interpellés par leur nom et d’avoir l’air ainsi d’être connus de gens d’importance. Mais comme il n’est pas possible qu’un candidat sache comment s’appellent tous les habitans de Rome et de la banlieue, il se fait accompagner par un esclave spécial (nomenclator), dont c’est le métier de connaître tout le monde. Le nomenclator suit le candidat comme son ombre ; du plus loin qu’il voit venir quelqu’un, il le lui nomme, et ajoute quelques détails sur sa situation ou sa famille. « Celui-ci est très puissant dans la tribu Fabia ; en voilà un autre qui dispose de la tribu Velia. Appelle-le : mon père, ou ; mon frère. » Et le candidat s’empresse, en distribuant au nouveau venu une vigoureuse poignée de mains, de répéter la leçon qu’on vient de lui faire. Assurément aucune illusion n’est possible. La présence assidue du nomenclator n’indique que trop d’où vient toute la science du candidat. Il faudrait être un sot pour croire, quand il vous salue de votre nom, qu’on est personnellement connu de lui. Et pourtant cette comédie ne laisse pas de charmer le bon peuple, qui s’y laisse toujours prendre, et il n’y a pas d’usage auquel il soit plus attaché. La prensatio commençait de bonne heure et se renouvelait souvent dans le cours d’une candidature. Cicéron écrivait à Atticus, le 17 juillet 689 : « Je vais profiter de l’élection des tribuns pour commencer à serrer la main au peuple dans le champ de Mars. » C’était juste un an avant qu’il fût nommé consul.
La publicité des journaux dispense aujourd’hui le candidat de toutes ces pratiques ; il peut se contenter de parler aux citoyens par la presse ; et s’il continue à les visiter, à se présenter à eux en personne et à aller leur serrer la main, c’est qu’il s’est aperçu qu’en France comme à Rome, ces politesses ne laissent pas l’électeur insensible. Chez les Romains, non-seulement il n’y avait pas de vrai journal, au moins au sens où nous entendons ce mot,
- ↑ On peut se permettre les flatteries les plus exorbitantes, mais il faut bien se garder de faire de l’esprit hors de propos. L’élégant Scipion Nasica, quand il voulait être édile, ayant serré la main d’un paysan et la trouvant très calleuse, eut l’imprudence de lui demander s’il avait l’habitude de marcher sur les mains. Le paysan prit mal la plaisanterie, et Scipion ne fut pas élu.