et préoccupé depuis longtemps de la gravité de ce problème pour son pays, il a visité chaque année l’une ou l’autre contrée, y étudiant sur place l’économie rurale et surtout les lois réglant la répartition de la propriété, dans l’espoir d’y trouver le germe de réformes qui auraient pu prévenir la crise actuelle. C’est ainsi qu’il a été, à diverses reprises, l’hôte de notre maître regretté Léonce de Lavergne, auquel il vient de consacrer une notice biographique à la fois instructive et touchante. Les chapitres où il expose les origines et les conséquences du régime agraire de l’Angleterre et de l’Irlande offrent en ce moment un intérêt presque tragique. Ils nous font saisir sur le vif les inextricables difficultés du problème. Au fond, ce qui est en jeu, c’est la question de la petite et de la grande propriété. Arthur Young, voyant la terre se morceler en France, prédisait que le pays, semblable à une garenne de lapins, serait dévoré par une population surabondante. La législation de la révolution avait eu en effet pour but de dépecer les grands domaines, afin d’en faire passer les parcelles entre un très grand nombre de mains. Les économistes et les hommes d’état anglais avaient presque unanimement adopté les idées d’Arthur Young. Constatant les merveilleux progrès accomplis chez eux par l’agriculture, ils l’attribuaient sans hésiter à la grande propriété; la majorité des publicistes l’admettaient à leur suite, et condamnaient le régime de succession en France.
Les majorats, les substitutions, le droit du fils aîné, en l’absence de testament, d’hériter de tous les immeubles, et surtout les difficultés sans nombre de la vente des terres, par suite du défaut de publicité, toutes ces causes réunies ont eu pour résultat de réduire sans cesse en Angleterre le nombre des propriétaires fonciers. On peut déjà apprécier aujourd’hui les conséquences des deux systèmes : le système français, répartissant le territoire entre cinq millions de familles et le système anglais, concentrant les trois quarts du sol aux mains de dix mille privilégiés. En France, la population s’accroît si lentement que les malthusiens même s’en alarment, le bien-être augmente rapidement, la misère disparaît, et même le suffrage universel ne songe pas à porter la plus légère atteinte aux principes les plus exclusifs de la propriété.
En Angleterre, malgré l’émigration, le nombre des habitans dépasse notablement les ressources du pays en denrées alimentaires; le paupérisme a son armée permanente d’un million d’individus légalement secourus ; l’exercice des droits les plus essentiels de la propriété donne lieu à une opposition si redoutable qu’elle aboutit à la supprimer et, à chaque instant, le parlement, qui semblerait devoir en être le gardien attitré, y porte atteinte, par des mesures que les gens timorés du continent ne manqueraient pas