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seront réparties dépend des lois, des coutumes, des conventions et des exigences des trois parties prenantes qui sont les facteurs de la production, c’est-à-dire les agens naturels, le travail et le capital.

Mais les partisans du Wages Fund insistent et disent : La même somme sera toujours dépensée en salaires. Si le salaire hausse, on emploiera moins d’ouvriers, et s’il baisse, au contraire, on en emploiera davantage. Doublez la rétribution d’une certaine catégorie d’ouvriers, ils emporteront une portion plus grande du fonds total des salaires, d’où il résultera que d’autres ouvriers devront se contenter d’une rémunération moindre ou même cesseront entièrement d’être employés. — Ce qui est vrai, c’est qu’un salaire peu élevé poussera à faire certains travaux, qui autrement n’eussent pas été rémunérateurs. Ainsi, dans les Flandres, on cultive la terre à la bêche avec les soins minutieux du jardinage, parce que la journée de l’ouvrier agricole s’obtient pour 1 fr. 25. Dans le Far-West de l’Amérique, on laboure avec la machine, presque sans main-d’œuvre, parce que celle-ci se paie 10 francs par jour. Mais ce qui est une erreur, c’est de prétendre donner à ces faits la rigueur des formules mathématiques. La demande de bras n’augmentera pas ou ne diminuera pas en proportion exacte avec la hausse ou la baisse des salaires. Pour s’en convaincre, il suffit de voir ce qui se passe dans une exploitation rurale. Certains travaux doivent être faits coûte que coûte. S’il faut les payer cher, le cultivateur fera moins de profit. Si, au contraire, on obtient les ouvriers à bon compte, il n’augmentera pas ses mains-d’œuvre, de façon à dépenser encore la même somme. L’économie qu’il fera de ce chef, il la gardera en grande partie pour lui. Dans le premier cas, la somme qui reviendra aux ouvriers sera plus grande que dans le second cas : le surplus sera prélevé sur les profits et en définitive sur la part du propriétaire.

Comme le fait remarquer M. Leslie, on a pris le résultat pour la cause. Le prétendu fonds des salaires n’est autre chose que le total de ce qui est effectivement dépensé pour cet objet à un moment donné, sans que ce total soit nécessairement déterminé d’avance. Il est aussi peu rationnel de soutenir que le revenu de chacun de nous dépend de la proportion qui existe entre le revenu total de la nation et le nombre des habitans, que de dire que le salaire de chaque ouvrier est exactement fixé par le rapport entre la somme totale des salaires et le nombre des salariés. Ces moyennes calculées par la statistique ne sont pas sans intérêt ; mais c’est une singulière illusion de croire qu’elles apportent la solution du problème des salaires.

M. Leslie démontre aussi, en citant un grand nombre de faits très curieux, que cette égalité de rémunération dans les différens emplois du même genre, que les disciples de Ricardo avaient annoncée,