avec MM. Leslie et Paul Leroy-Beaulieu, que l’économie politique est une science à refaire, mais je l’admets pour des motifs différens. Je ne crois pas autant qu’eux que les auteurs révérés de l’école classique, Smith, Ricardo, Mill, se soient trompés dans leurs déductions théoriques. A mon avis, sauf quelques rectifications de détail, les vérités qu’ils ont établies restent acquises; mais, d’après moi, c’est la notion même de la science admise par eux et par leurs successeurs qui est incomplète et erronée. Sans doute l’économiste doit connaître les lois dites naturelles qui gouvernent la production, la répartition et la consommation de la richesse, c’est-à-dire l’enchaînement des causes et des effets qui se produisent dans ce domaine de l’activité humaine. Mais ce n’est là que le premier pas et pour ainsi dire le moyen d’étude, comme l’est la lecture en littérature et l’usage du microscope en physiologie. L’objet propre à examiner, ce sont les lois civiles et leurs conséquences. L’économie n’est « politique » qu’à la condition de s’occuper de la πόλις, c’est-à-dire de la cité, de l’état. Le rôle de l’état et les arrangemens sociaux, qu’on excluait ordinairement du cercle des études économiques, y sont, au contraire, la chose essentielle.
Un mot de sir Henry Maine a été souvent répété, c’est que le progrès de la société consiste à passer du status au contrat, c’est-à-dire du régime où les actes de la vie sont réglés par la coutume à celui où ils émanent de la volonté et de l’accord libres. Sans doute le domaine de la liberté s’est agrandi, mais elle ne s’exerce que sous l’empire du code civil et du code pénal. Considérons l’Irlande en ce moment : la liberté et le droit commun y règnent comme en Angleterre ou comme en France; les rapports économiques y sont le résultat du contrat. Cependant, quel est l’homme d’état, s’appelât-il même lord Sherbrooke, qui oserait prétendre qu’il suffit d’y appliquer la panacée traditionnelle des économistes : laissez faire, laissez passer ?
En résumé, le service rendu par M. Leslie est double. À la fois économiste, juriste, historien et homme d’esprit, ce qui ne gâte rien, il a montré d’abord que notre science était à reconstruire des fondemens jusqu’au faîte, et ensuite il a indiqué d’après quelle méthode il fallait le faire. Il n’a pas essayé de rebâtir l’édifice. Il prétend même qu’il serait prématuré de le tenter, parce que les matériaux ne sont pas encore prêts; mais du moins il en a dégrossi et taillé quelques-uns, et il a esquissé la marche à suivre pour mettre en œuvre ceux qu’un travail approfondi et persévérant préparera successivement.