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L’EMPEREUR ALEXANDRE II
ET LA
MISSION DU NOUVEAU TSAR

L’histoire de Russie, après comme avant Pierre le Grand, a enregistré bien des morts tragiques et de sanglantes catastrophes. Bien des tsars ont péri de mort violente, l’empereur Alexandre II est le premier qui soit tombé dans la rue, victime d’une main inconnue et de colères anonymes. Jusqu’à lui, la Russie ne connaissait que les révolutions de palais ; le régicide y était exécuté en secret, loin des yeux du peuple, de nuit, au fond d’une salle obscure ou d’une chambre fermée; l’autocrate était mystérieusement étranglé par quelques généraux ou hauts fonctionnaires, conjurés pour changer le souverain. Tout se passait derrière la scène, dans les coulisses, pour ainsi dire, entre acteurs de la haute politique. Le peuple apprenait à l’improviste qu’un mal soudain avait emporté l’empereur, et l’inviolabilité du trône restait intacte aux yeux de la foule.

Le prince que, en Russie comme au sud des Balkans, on se plaisait à nommer le tsar libérateur est le seul qui ait été tué en public, en plein jour, par des mains privées, au nom de ce minotaure moderne, d’origine étrangère, que, faute d’un mot national, on appelle, en Russie comme chez nous, la révolution. Jusque-là, aucun homme du peuple, aucun particulier n’avait osé porté la main sur l’oint du Seigneur. Sous l’empereur Nicolas, de despotique mémoire, la sainte Russie semblait encore à cet égard demeurer en dehors de l’Europe, dès longtemps habituée à de sinistres exploits de ce genre ; c’est sous Alexandre II que le régicide révolutionnaire y a