c’est le mot dont ils usent le plus, car ils ont passé un demi-siècle à s’en aller, ils semblaient voués à l’exode perpétuel. Lorsque les Anglais se furent emparés de la colonie du Cap, les colons hollandais eurent beaucoup de peine à s’accommoder de leurs nouveaux maîtres. Six de ces rénitens furent pendus pour servir d’exemple aux autres, et on força leurs amis à assister à l’exécution. La potence se rompit sous le poids des six condamnés, on dut employer plusieurs heures à la réparer. Les victimes avaient eu le temps de reprendre vie, et leurs amis, qui n’avaient pas quitté la place, implorèrent leur grâce; maison les rependit, et cette fois la potence ne rompit point. Jamais les Boers n’ont oublié cet incident, ni l’endroit où il se passa.
Quand plus tard, en 1834, l’esclavage fut aboli, les maigres indemnités allouées aux propriétaires d’esclaves furent acquittées de mauvaise grâce, et à la mauvaise grâce s’ajouta la mauvaise foi. C’en était trop. A la fin de 1836, dix mille colons avaient émigré avec leurs femmes, leurs enfans et leurs bœufs. Quelques-uns avaient troqué leur maison contre un chariot, et ils s’en allaient devant eux, s’appliquant à mettre plusieurs centaines de lieues entre l’Anglais et leur bonheur. Ils s’établissaient de préférence dans quelque contrée réduite en désert par un Attila noir ou cuivré, et dont l’éléphant, le rhinocéros, la girafe et l’antilope avaient repris possession. Mais à peine étaient-ils installés, à peine avaient-ils construit leurs fermes, leurs étables, leurs réservoirs, ouvert des routes, mis la terre en culture, l’Angleterre, qui semblait les avoir oubliés, se souvenait d’eux pour leur dire : « Vous êtes mes sujets, des sujets évadés, et vous m’appartenez. J’ai les bras infiniment longs; où que vous alliez, vous serez sous ma main. » Ils avaient colonisé Natal, Natal leur fut repris. Ils avaient fondé une république entre l’Orange et le Vaal, la république d’Orange a été annexée, jusqu’à ce que le conquérant, y trouvant son compte, la remit en liberté, en lui enlevant toutefois quinze ans plus tard certains champs de diamans qui lui parurent de bonne prise. Ceux qui avaient passé le Vaal se croyaient en sûreté, ils comptaient sur les distances et sur la parole de l’Angleterre; leur espérance a été déçue, ils ont dû subir la loi commune qui veut qu’au Zulu succède l’éléphant, à l’éléphant le Boer et au Boer l’Anglais. Le Zulu ravage, l’éléphant se repaît, le Boer défriche, et quand il a déniché, l’Anglais lui dit : « Tu es chez moi. » Ce genre de politique sud-africaine a été pratiqué depuis longtemps par les chercheurs de truffes. Leur truie, unissant une finesse d’odorat sans égale à une extrême délicatesse de friandise, ils la chargent de déterrer le précieux végétal. Pendant qu’elle fouille avec son groin, le chercheur la suit d’un œil attentif; au moment où elle découvre la truffe et s’apprête à la manger, il écarte la pauvre bête en lui assénant un coup sec sur le nez et il lui jette en guise de consolation quelques glands qu’elle dévore, faute de mieux. Le travail est pour elle, la truffe est pour lui.