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nécessité de situation, une suite de la division qui existe entre les ministres eux-mêmes, qu’on n’ait pas trouvé d’autre moyen d’éviter une crise ministérielle immédiate qui eût été une complication de plus, c’est possible, nous le voulons bien ; mais il ne faut pas qu’on croie, en procédant ainsi, rester dans la vérité, dans la sincérité du régime parlementaire. Quel est le ressort principal, essentiel du régime parlementaire » si ce n’est un ministère porté aux affaires par une majorité, et une fois au pouvoir, dirigeant, contenant ou stimulant cette majorité, toujours prêt à s’engager d’action et de responsabilité, dans les questions difTiciles encore plus que dans les autres ? Un ministère est fait pour cela. S’il n’a plus la majorité, c’est à ceux qui l’ont ou qui croient l’avoir de prendre les affaires. Qu’on observe les pays où les institutions parlementaires sont dans toute leur vérité, dans toute leur force : imagine-t-on M. Gladstone se désintéressant en présence d’une proposition de réforme électorale ? Si le régime parlementaire était ce qu’on dit, il ne serait que la stérilité constitutionnelle, le gâchis organisé. Mieux vaudrait l’omnipotence d’une assemblée unique s’exerçant par un simple délégué exécutif qu’un système trompeur aboutissant à une éclipse du pouvoir devant les questions embarrassantes.

Ce n’est pas tout. À quoi tient cette impuissance déguisée sous une déclaration de neutralité et d’abstention ? La cause n’a certes rien de mystérieux, elle est le secret de tout le monde. Le ministère ne peut pas porter une opinion devant la commission de la chambre, devant le parlement, parce qu’il n’a pas d’opinion ou plutôt parce qu’il a deux opinions, parce que dans le cabinet il y a deux cauips, — le groupe de ceux qui, avec M. le président de la république, tiendraient à conserver le scrutin d’arrondissement, et les trois ministres devenus légendaires, qui avec M.Gambetta sont pour le scrutin de liste. Voilà le fait, de sorte que dans, un cabinet existant sous la direction de M. le président de la république, il y a trois ministres relevant notoirement d’un autre pouvoir considérable sans doute, important par le talent comme par la position, mais parfaitement irrégulier, dénué de toute autorité constitutionnelle. Et qu’on y prenne bien garde, ce n’est pas la première fois que cette anomalie éclate en quelque sorte. Lorsqu’au mois de septembre dernier, M. de Freycinet, président du conseil, se proposait d’engager sous sa responsabilité une politique qu’il avait l’incontestable droit de suivre, il échouait devant la résistance, devant l’hostilité déclarée des trois ministres amis de M. Gambetta. Chef du cabinet, il se croyait obligé de se retirer devant ses collègues, de céder à plus fort que lui. Aujourd’hui, c’est la même situation. Seulement le président du conseil du moment, M. Jules Ferry, temporise, élude et se sauve par l’abstention. Franchement, en tout cela où est le pouvoir ? où est la direction ? où est la vérité parlementaire ? Si M. le président de la chambre a assez d’autorité pour avoir ses délégués au conseil, pour décider des résolutions d’un cabinet, que n’est-il