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vient de s’ériger en royaume. La proposition, due à l’initiative parlementaire, a été faite aux chambres de Bucharest, et elle a été accueillie, sanctionnée par tous les partis avec une chaleureuse unanimité. Le prince Charles de Hohenzollern a été aussitôt proclamé roi. Cette transformation ne peut évidemment rencontrer aucune difficulté en Europe : elle ne change rien à l’état de l’Orient tel qu’il a été réglé par les récens traités. Pour les Roumains, elle est le couronnement de longues luttes pour l’indépendance, et dans la dernière de ces luttes, autour de Plevna, les soldats moldo-valaques avaient donné d’avance à leur jeune royauté un drapeau teint de leur sang, ennobli par leur courage. Cette armée toute nouvelle s’est révélée en assurant aux Russes, dans un jour de péril, un concours aussi brillant qu’efficace, et par son intrépide dévoûment elle a conquis, consacré les titres de la nationalité roumaine. La royauté qui vient d’être proclamée à Bucharest ne modifie nullement du reste l’organisation constitutionnelle et libérale des anciennes principautés ; elle la couronne, elle la résume sous une forme plus élevée, et de ces provinces si longtemps disputées entre Turcs et Russes elle fait un état souverain, définitivement constitué, prenant place parmi les monarchies de l’Europe.

Depuis quelque temps, comme s’il n’y avait pas assez des affaires inévitables qui occupent le monde, des difficultés de l’Orient et de l’Occident, il s’est produit dans un coin des rives de la Méditerranée une question que des passions et des calculs intéressés se plaisent à grossir : c’est ce que l’on appelle la question de Tunis ! Qu’y a-t-il donc de réel, de sérieux, dans toutes ces rumeurs qui courent le monde, qui exagèrent des incidens ou des intrigues, supposent des conflits diplomatiques entre quelques grandes puissances et finissent par créer ce mirage d’une question tunisienne ? Ce qu’il y a de vrai, c’est à peu près ceci.

La régence de Tunis est, on ne l’ignore pas, dans une position particulière. Nominalement elle est restée, elle est encore la vassale de la Porte ; en fait, depuis plus d’un siècle, elle est à peu près indépendante, et depuis un demi-siècle, depuis que la France est devenue la maîtresse du nord de l’Afrique entre Bone et Oran, entre Constantine et la frontière du Maroc, elle s’est trouvée dans des conditions nouvelles par le voisinage d’une puissance civilisée. Cette puissance devenue la souveraine de l’Algérie, désormais intéressée par cela même à tout ce qui se passait autour d’elle sur ses frontières de l’est ou de l’ouest, elle n’a pas seulement respecté l’indépendance tunisienne, elle l’a souvent protégée contre les revendications périodiques par lesquelles la Porte se croyait encore obligée d’affirmer ou de maintenir son droit de suzeraineté, et le bey qui règne aujourd’hui depuis vingt ans, Mohamed-Sadock, a été plus d’une fois trop heureux de se sentir garanti par un si puissant voisin. La France, loin d’abuser de sa force et de rechercher