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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/795

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Si une partie quelconque de la France parvenait, à la faveur des événemens qui vont avoir lieu, à se soustraire au joug de Buonaparte, je crois que Votre Majesté ne pourrait mieux faire que de s’y rendre immédiatement, d’y avoir son ministère avec elle, d’y convoquer les chambres et d’y reprendre le gouvernement de son royaume, comme s’il était soumis en entier[1]. Le projet d’une expédition sur Lyon, que je désirais vivement, à cause du résultat essentiel qu’elle aurait sur les provinces du Midi, aurait pu faire exécuter cette idée avec bien de l’avantage.

L’annonce d’un trop grand nombre de commissaires envoyés auprès des armées n’a pas été agréable[2]. Je crois que toutes les démarches de Votre Majesté doivent être faites de concert avec les alliés, presque avec leur attache. Cette déférence doit contribuer à placer clairement dans leur esprit le but de la guerre, qui, je dois le dire, dans les différens cabinets, n’est peut-être pas exactement le même. Car si l’Angleterre veut exclusivement et vivement le retour de Votre Majesté[3], je ne pourrais pas assurer que la Russie

  1. « Le rôle du roi eût été superbe, s’il fût resté à Paris… Le roi avait annoncé cette résolution ; elle a changé deux fois ; c’est un grand malheur. Je ne croirai jamais que la ville de Paris l’eût laissé périr par les mains de cet homme (Bonaparte), ni que les troupes eussent tiré sur nous. Enfin, c’est fait ; il faut par tout moyen refaire un noyau, gagner un commandant de place et avoir le pied sur le sol sacré. Car si le roi arrive derrière les troupes étrangères, il donnera bien beau jeu à toutes les mesures des jacobins et de Bonaparte, qui marchent d’accord aujourd’hui. Il nous semble que dans ce moment les écrits et les proclamations seraient de peu d’effet, qu’il faut être en France, avoir battu un corps d’armée de Bonaparte. A mesure alors que les armées avanceront, les commandans français attachés aux corps d’armée ordonneront la réunion des conseils généraux du département ; ceux-ci désigneraient un ou plusieurs d’entre eux pour faire les fonctions de commandant, d’ordonnateur, présidant aux réquisitions, aux vivres des armées… faire des proclamations, etc. Nous avons ici déjà d’André, d’Anglès, et pour manier la plume, nous avons MM. de Lally, Chateaubriand ; celui-là veut que sa première phrase lui soit payée du titre de ministre du roi ; Lacretelle jeune, Bertin de Vaux. Vous voyez que nous ferons feu de la plume. »
    (De Gand, Jaucourt à Talleyrand, 4 avril 1815.)
  2. « M. Vincent, et à son défaut M. Pozzo, reçoivent l’ordre de faire des remarques contre la nomination des commissaires royaux à nos armées. »
    (Lettre de Metternich à Talleyrand, 24 juin 1815.)
  3. Le 25 avril 1815, l’ambassadeur de Sa Majesté britannique remettait la note ci-jointe à M. de Jaucourt :
    « Le soussigné, à l’occasion de l’échange qui doit être fait, au nom de sa cour, des ratifications du traité conclu le 25 mars dernier, est chargé de déclarer par la présente note que le huitième article dudit traité, par lequel Sa Majesté très-chrétienne est invitée à y accéder, sous certaines conditions, doit être considéré comme exigeant des hautes parties contractantes, d’après un principe de sécurité mutuelle, un effort commun contre la puissance de Napoléon Bonaparte, conformément à l’article 3 du traité, mais ne doit pas être regardé comme imposant à Sa Majesté britannique l’obligation de poursuivre la guerre dans le dessein de faire recevoir à la France aucune forme particulière de gouvernement. Quelque désir qu’éprouve M. le prince régent de voir Sa Majesté très chrétienne rétablie sur le trône, il se croit tenu de faire cette déclaration. L’ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté britannique a reçu ordre de sa cour d’en donner confidentiellement connaissance aux ministres de Sa Majesté très chrétienne.
    « Le soussigné ne saurait trop insister sur ce que cette démarche, bien loin de provenir d’un sentiment peu favorable à la cause dont elle considère que la paix de l’Europe doit dépendre, est la suite de l’intime conviction de son souverain que la nation britannique, ayant offert tous ses moyens spontanément à l’appui des intérêts de Sa Majesté très chrétienne, son engagement positif à cet égard donnerait lieu aux différends préjudiciables qui se trouveraient embarrasser les démarches du gouvernement pour l’avancement de cet objet.
    « Charles STUART. »