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le besoin, ou de nous prémunir contre une envie de critiquer, ou de nous confirmer dans nos dispositions admiratives.

Il est assez curieux de suivre ces tendances contraires et ces incertitudes de la critique française sur Pindare, depuis qu’elle a commencé à s’occuper de lui jusqu’à nos jours. Aussitôt après les ferveurs de Ronsard, qui, selon sa propre expression, se met à pindariser, Malherbe traite de galimatias une poésie qu’il ne peut comprendre. Elle est au contraire admirée et défendue par Boileau, qui, pour donner ses lois, puise plus largement aux sources antiques et les vénère religieusement. Mais, — s’il n’a pas de peine à convaincre d’ignorance l’irrévérencieux Perrault, — quand on le voit lui-même affirmer que « Pindare est un génie qui, pour mieux entrer dans la raison, sort de la raison même, » on se demande si son adversaire avait tout à fait tort de dire que personne n’entend le poète grec. En réalité, les partisans de Pindare sont très sensibles à une vague impression de noblesse et d’éclat qui se dégage pour eux de ses odes ; mais, Perrault a raison, ils ne saisissent pas la vraie nature d’une poésie trop contraire à l’esprit français.

Au XVIIIe siècle, il est vrai, le moins lyrique des siècles, il est remarquable que ce sont les poètes qui apprécient le moins le grand lyrique. Voltaire dit sans scrupule ce qu’a pensé avant lui Lamotte :

Sors du tombeau, divin Pindare,
Toi qui célébras autrefois
Les chevaux de quelques bourgeois
Et de Corinthe et de Mégare.

Voilà pour le fond. Quant à la forme, tout se résume dans les deux mots consacrés de désordre et galimatias. Le pindarisme de Lebrun ne servait guère mieux la gloire de son modèle. André Chénier lui-même, qui lisait Pindare en grec et a traduit en vers brillans et harmonieux le début de la VIIe Olympique, n’entra pas très avant dans l’intelligence de ce qu’il admirait. Même pour le sentiment, rien n’est moins pindarique qu’un joli vers comme celui-ci :

D’une vierge aux yeux noirs le lit et les caresses.

André Chénier était, lui aussi, de son siècle, et, quelque pénétré qu’il soit des charmantes inspirations de la Grèce, il n’a pas puisé directement aux grandes sources : il n’est arrivé à Homère et à Pindare qu’en passant par Alexandrie.

C’étaient des savans, des membres de l’Académie des inscriptions, l’abbé Fraguier, surtout Vauvilliers, qui, les premiers, apercevaient avec une certaine netteté quelques-unes des conditions