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PINDARE.

l’effet de cette diversité et de cette mobilité sur la foule et sur les penseurs religieux ? La foule se contente de dire, comme le personnage de Sophocle au sujet du nom des Euménides et du culte qui leur est rendu à Colone : « Une chose est bonne ici, une autre ailleurs. » Hérodote, lui, parcourait avec une ardeur infatigable l’Asie, l’Égypte et l’Europe, pour comparer les légendes religieuses des différens sanctuaires et en retrouver la filiation. Ne croyons pas, même sur la foi de M. Croiset, qui appelle cela de la souplesse lyrique, que Pindare se promène en artiste dans ce monde des mythes religieux, uniquement préoccupé d’y cueillir des fleurs pour les couronnes qu’il a mission de tresser. Non ; il s’associe avec sincérité aux sentimens de la foule pour laquelle il chante ; il croit comme elle à ces légendes dont la fête elle-même pour laquelle il les expose, les sacrifices, les temples, les mœurs sont les vivans témoignages ; il y croit comme elle, mais pas plus, et sans que sa foi aux formes diverses qu’elles peuvent revêtir dans le détail soit plus profonde que ne le comporte cette matière légère et mobile. Cela suffit pour qu’aucune nuance de scepticisme n’altère la gravité de sa noble figure.

Ce qui le distingue de la foule, c’est qu’à côté de cette croyance commune aux formes sensibles de la religion, il y en a chez lui une autre qui va au fond, et prend ce qu’on appellerait aujourd’hui un caractère spiritualiste. Elle suit en cela le mouvement d’une grande philosophie, celle de Pythagore, qui reste religieuse, et d’une religion particulière, l’orphisme, qui est animée d’un esprit philosophique. Cette philosophie et cette religion, pendant la jeunesse de Pindare, avaient profondément pénétré certaines parties de la société antique. Ce n’est pas qu’il soit lui-même orphique ou pythagoricien : il est poète ; mais ce serait enlever à sa poésie ce qui en fait l’inspiration principale et le caractère que d’y nier une influence qu’il subit alors avec un certain nombre d’esprits d’élite. S’il ne s’attache pas à un système, s’il ne tend pas, comme l’orphisme, à réunir et à confondre les dieux, du moins rapproche-t-il chacun d’un idéal commun de grandeur et de perfection. « Dieu puissant, tu sais la fin dernière de toute chose et tu connais toutes les voies ; tu comptes les feuilles que la terre fait éclore au printemps et les grains de sable que les flots et les vents impétueux font rouler dans la mer et dans le lit des fleuves ; tu vois clairement ce qui doit être et quelle en sera la cause. » Voilà ce que devient chez lui le dieu prophète et dieu soleil Apollon, qui, d’après l’antique formule d’invocation, voit tout et entend tout.

Cette idée d’une divinité souverainement intelligente appelle une conception plus haute de la moralité divine. Aussi Pindare se refuse-t-il à admettre certaines légendes. « Si l’on ose par-