Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/825

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
819
PINDARE.

tains détails ; mais une analyse des élémens dont elle se compose et une étude de ses caractères propres nous en facilitent l’intelligence et l’appréciation. M. Croiset nous a donc rendu service en écrivant sur ce sujet un chapitre où, avec la sûreté de sa méthode et de son goût, il définit ces différens points : le dialecte de Pindare, formé d’un mélange du dialecte épique avec les dialectes dorien et éolien qui varie, comme le rythme et le mode, selon la nature des odes et le caractère des idées ou des sentimens exprimés ; son vocabulaire, qui reprend des mots vieillis et se crée par d’heureuses inventions de nouvelles richesses ; cette profusion d’images et de figures qui illumine sa langue, nerveuse autant que brillante ; la structure expressive de sa phrase, qui se ramasse en un trait rapide, ou se déploie en période immense, suivant le mouvement de la pensée ou la force naturelle de l’élan poétique.

Ce genre d’étude sur Pindare semble nous transporter bien loin de notre pays et de notre temps ; on y trouverait, cependant, sur notre propre littérature, la matière d’un intéressant travail qui ne serait peut-être pas dénué de toute utilité présente : ce serait de comparer dans le détail avec le grand lyrique thébain nos lyriques français. On arriverait, si nous ne nous trompons, à une conclusion assez inattendue ; c’est que, si les pindarisans, depuis Ronsard jusqu’à Lebrun, ont échoué dans leur tentative, notre siècle s’est plus rapproché d’un modèle qu’il ne prétendait pas imiter. Bornons-nous à indiquer la question à ses deux époques extrêmes, au xvie siècle et au nôtre, les plus lyriques de la littérature française.

Il n’y a pas lieu de réviser le procès de Ronsard, ni d’en appeler d’un arrêt trop légitime. Son pindarisme a été une erreur, qui n’a guère profité ni à sa gloire dans la postérité ni à la langue ; et l’on est tenté de croire que lui-même n’était pas complètement satisfait de son œuvre, puisque, après avoir essayé des odes pindariques dans sa jeunesse, il n’y revint plus. Mais il ne serait pas inutile pour l’intelligence de notre poésie de revenir sur cet effort, afin d’en examiner la nature et de reconnaître, non-seulement ce qui le fit échouer, mais ce qui lui valut d’abord un accueil si enthousiaste et ce qu’il pouvait y avoir de bon dans la pensée du novateur[1].

Les causes de l’échec apparaissent d’autant plus évidentes qu’on se reporte au modèle grec. Rien de plus froid que ces formes, ces images, cette mythologie, transportées hors de leur place naturelle et violemment introduites chez les contemporains du poète français. Quelle force d’illusion ne fallait-il pas à ceux-ci pour admirer la

  1. C’est le point de vue auquel s’était placé E. Gandar, dans son livre publié il y a vingt-cinq ans et intitulé Ronsard considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare.