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naissance de Marguerite sortant du docte cerveau de François Ier, ouvert par la lance de Pallas, et s’affublant elle-même du costume guerrier de la déesse pour aller plonger le fer dans le ventre du vilain monstre Ignorance ! C’était cependant le temps où Du Bellay, dans le manifeste de la nouvelle école, demandait un poète inspiré par la passion et conseillait l’imitation des Grecs et des Latins, pour prendre en eux la chair, les os, les nerfs et le sang. Mais malheureusement Ronsard, comme il veut bien nous en instruire lui-même dans son Abrégé de l’art poétique, s’imagina que les nerfs et la vie, c’étaient des descriptions, des comparaisons, des vocables nobles et signifians, sans se douter que, pour soutenir cet art extérieur, il fallait d’abord une pensée originale, une âme.

On sait d’ailleurs pourquoi cette ambition d’accroître les ressources de l’art fut en grande partie déçue. Les langues ne se violentent pas. Elles se développent, sous des influences générales, suivant les lois de leur nature propre ; et si un grand écrivain peut tout d’un coup les faire avancer vers leur perfection, c’est grâce à un instinct supérieur de ces lois. Tel ne fut pas le cas de Ronsard, qui ne comprenait bien ni ce qui était possible en français ni ce qui avait été fait en grec. Lorsque Pindare se formait sa langue à lui, il ne prenait pas indifféremment dans tous les dialectes ; mais il se bornait aux deux dialectes lyriques, le dorien et l’éolien, et au vieux fonds de la langue épique. C’était cette riche et souple matière, façonnée par le travail poétique de plusieurs siècles, qu’il pliait à l’expression particulière de son sentiment. Ce n’était pas la même chose que d’offrir au public, comme le conseillait Ronsard, un mélange de mots gascons, poitevins, normands, manceaux, empruntés à tous les patois. Quant aux créations de termes nouveaux, il est trop clair que de ternes et disgracieuses inventions, comme les dérivés vervement (de verve), fouer (de feu), ou les composés tue-géant, cuisse-né, aigu-tournoyant, qu’il proposait ou mettait en usage, ne supportent pas un instant la comparaison avec ces mots francs et harmonieux qui semblaient venir d’eux-mêmes apporter au lyrique grec leurs syllabes sonores et vivantes.

Est-il besoin aussi de remarquer que Ronsard est loin de prendre à son modèle la puissante et expressive variété des constructions de phrase et des rythmes ? Lisez l’ode à Michel de l’Hôpital, la plus admirée à sa naissance : bien que le poète annonce que sur les bords dircéens il amasse l’élite des plus belles fleurs, la couronne qu’il en tresse n’a rien de pindarique. Ni le développement suivi de ces longs récits, empruntés en grande partie à Hésiode, ni les allures régulières et placides des phrases, ni la succession prolongée de ces systèmes de strophes, d’antistrophes et d’épodes qui bercent l’oreille de leur uniformité, ni les caractères du style ne